Une force abolitionniste à  la convention des droits des femmes de l’ONU

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Dans la suite du congrès international de New Delhi, le Mouvement du nid et les associations membres de CAP international, coalition d’associations abolitionnistes de terrain, se sont retrouvées à  New York pour la 61e convention de l’ONU femmes. L’abolition de la prostitution, mais aussi le sujet de l’exploitation sexuelle filmée, et la marchandisation croissante des êtres humains ont été portés à  tous les niveaux, au sein de la délégation française, dans les événements parallèles et jusqu’au Conseil de sécurité.


Du 13 au 18 mars, le Mouvement du Nid a participé à  la « CSW61 », 61e convention annuelle de l’ONU femmes à  New York, au sein d’une délégation française menée par Laurence Rossignol, la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes. Près d’un an après l’adoption de la loi de renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, celle-ci a pu mettre en avant ce que la loi a déjà  permis comme avancées : plus de 800 verbalisations de clients-prostitueurs (alors même que les détracteurs de la loi affirmaient que la police ne serait pas en mesure d’appliquer la loi !), la publication de tous les décrets relatifs à  la loi, en particulier celui sur les parcours de sortie, qui commencent à  se mettre en place au niveau départemental.

La reconnaissance de la prostitution comme étant toujours une exploitation, et en particulier des plus vulnérables, a d’ailleurs été portée jusque devant le Conseil de sécurité par Asa Regner, ministre suédoise, où elle a fait une déclaration très applaudie.

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Un bel événement organisé par CAP International


Avec la Suède, la France a d’ailleurs souhaité mobiliser sur la nécessaire adoption du modèle nordique, en co-organisant un événement parallèle avec Cap International, la coalition d’associations de terrain militant pour l’adoption de lois abolitionnistes. En raison de la tempête de neige Stella, qui s’est abattue le mardi 14 mars sur New York, l’événement initial, « quand les victimes comptent », a été transformé en une passionnante rencontre sur les stratégies abolitionnistes à  l’international, à  la mission française.

Non seulement les ministres suédoise et française, Asa Regner et Laurence Rossignol, ont défendu avec force le modèle abolitionniste, mais les associations membres de CAP, ont chacune présenté la situation dans leurs pays. Du Liban aux Etats-Unis, de la Colombie au Mexique, de l’Allemagne à  l’Afrique du sud, à  l’Irlande et à  la Grande-Bretagne, le partage d’expériences a été à  la fois très riche et instructif.

Au Liban, Ghada Jabbour de l’association Kafa (Assez de violences) a expliqué le système des visas d’artistes (voir notre vidéo), qui fait venir au Liban au prétexte de devenir serveuses des femmes d’Europe de l’Est pour les contraindre à  un véritable esclavage sexuel, montrant la nécessité d’une politique qui protège les victimes mais ne réglemente pas. Aux Etats-Unis, Cherie Jimenez, de l’Eva Center a expliqué comment, malgré une politique inexistante en la matière, il était possible via des initiatives locales d’aides aux personnes, de proposer à  des très jeunes femmes des alternatives à  la prostitution.

En Allemagne, Roshan Heiler de l’association Solwodi, a fait part de l’inquiétude des abolitionnistes allemandes quelques mois avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, qui réglemente plus encore la prostitution, et prévoit d’imposer aux personnes deux « entretiens obligatoires » avant inscription dans les bordels, une visite médicale et un entretien plus général d’aptitude, qui font fortement penser à  ce qui était en vigueur en France…au 19ème siècle !

En Afrique du sud, Nozizwe Madlala Routledge , représentante de l’association sud-africaine « Embrace dignity », a estimé -a minima- à  450.000 le nombre de prostituées dans son pays, soulignant le développement du phénomène des « sugar Daddies » (des hommes paient des jeunes femmes et leur font quitter l’université pour obtenir des « services sexuels »), et l’importance du trafic de femmes venues des pays limitrophes, Lesotho, Swaziland, Zimbabwe. Elle a demandé aux occidentaux de faire pression sur son pays pour qu’il reconnaisse le lien entre prostitution et violences envers les femmes, et qu’il adopte la « loi égalité » avec le modèle suédois. (voir vidéo ci-dessous).

En Angleterre, Lynda Dearlove de « Women of the well » a souligné les situations d’esclavage moderne qui concernent en particulier les personnes prostituées migrantes, qui constituent au moins 1/4 de l’ensemble des 100.000 victimes estimées de la prostitution.

En Colombie, Drisha Fernandez, de l’association colombienne a parlé des liens entre le crime organisé et l’exploitation sexuelle des femmes, prenant l’exemple des femmes portées disparues, autour de 30.000, dont on pense que 80% ont été victimes de la prostitution. Elle appelle à  une véritable politique d’aide aux victimes.

Au Mexique, Rita Hernandez de Comision Unidos Contra Trata, a insisté sur le manque d’information et de documentation sur la prostitution dans son pays, le gouvernement parlant d’une fourchette allant de 200.000 à  860.000 personnes prostituées ! A Tijuana, plaque tournante, on sait en revanche que plus de 43% des femmes sont issues du trafic d’être humains. Farouche militante abolitionniste, celle qui est par ailleurs vice-présidente de CAP International a montré sa détermination : « peu importe le temps que cela prendra, nous y arriverons », a-t-elle affirmé à  propos de l’adoption du modèle nordique. (retrouvez-là  en vidéo).

Enfin, Sarah Benson, la présidente de CAP et représentante de l’association irlandaise Ruhama, l’association de terrain irlandaise qui existe depuis 28 ans et accompagne les femmes dans des parcours de sortie, a pu parler de l’adoption, le 14 février dernier, de la loi abolitionniste qui pénalise les acheteurs de sexe en Irlande.
Elle revient dans cette vidéo sur ses attentes à  l’ONU: que la prostitution soit reconnue comme une atteinte aux droits des femmes, une exploitation sexuelle et une violence, dans toutes les institutions.

Quant au Mouvement du nid, il a pris la parole pour se féliciter de l’adoption des lois française et irlandaise, mais aussi pour insister sur la nécessité de bien prendre conscience que c’est maintenant que le plus dur commence, et qu’il ne faut pas relâcher l’effort de conviction. Nous avons également mis en avant, et ce à  plusieurs reprises pendant le congrès, la nécessité d’élargir le champ de notre action à  l’exploitation sexuelle filmée au sein du système pornographique, qui constituent de véritables violences prostitutionnelles filmées.

Exploitation sexuelle filmée et marchandisation des êtres humains

L’exploitation sexuelle filmée a par ailleurs été le thème principal d’un autre événement, organisé par les associations féministes suédoises à  la « swedish church » de New York, événement auquel Gail Dines, spécialiste de la pornographie était invitée. Elle a présenté son documentaire « Pornland : comment le porno a confisqué notre sexualité », qui fait remarquablement le point sur l’ampleur des violences perpétrées dans cette industrie, ainsi que sur la déshumanisation des femmes et la violence que véhiculent les images pornographiques qui servent à  alimenter un business mondial. Le sujet inquiète de plus en plus les associations abolitionnistes de tous les pays, et les Suédoises, qui ont récemment publié un rapport « prostitution et pornographie », prévoient prochainement un colloque sur le sujet.

La marchandisation croissante des femmes, souvent au nom de la « liberté de choix » ou du « droit à  l’enfant ou à  la sexualité », a par ailleurs très présente pendant cette convention annuelle, également avec un événement sur la maternité de substitution, GPA (gestation pour autrui), organisé par « Stop surrogacy now », une association états-unienne. Dans un pays où les mères porteuses sont de plus en plus nombreuses, et où le commerce de grossesse pour autrui est autorisé, plusieurs femmes ont témoigné de la violence du système (l’une d’elle, née de GPA, a expliqué comment elle s’était toujours sentie « comme un objet »). Trois expertes ont par ailleurs expliqué en quoi ce système était la poursuite d’une oppression (la vidéo intégrale de l’événement est disponible ici ). Pierrette Pape, du Lobby européen des femmes, a notamment cité une sociologue ayant bien résumé la situation : « avec la maternité de substitution, le Nord a trouvé une nouvelle façon de s’approprier les ressources du Sud ».

Le souffle abolitionniste ressenti à  New Delhi lors du congrès de janvier a été à  nouveau perceptible à  New York. A travers ces événements, mais aussi le « side event » organisé par le Lobby européen des femmes et la Belgique sur le modèle nordique, et ceux organisés par la CATW (coalition contre la traite des femmes) et SPACE international. Souffle abolitionniste enfin lors de rencontres informelles : plus de 60 abolitionnistes se sont retrouvées au débotté autour d’une table pour échanger en début de semaine. Membres de CAP International, mais aussi des réseaux de survivantes (SPACE international), d’autres coalitions (Equality Now, CATW) et d’autres organisations (WOLF).

Lors de tous ces événements, l’enjeu du langage employé est encore une fois ressorti, à  l’échelle locale et jusque dans les instances internationales. La nécessité de bannir le terme de « travail du sexe » et de faire appliquer la norme internationale des droits humains qui reconnaît la prostitution comme une atteinte à  la dignité humaine ont été réaffirmés. En ce sens, l’intervention de la Suède au Conseil de sécurité est venu renforcer le message abolitionniste à  l’échelle internationale.