Québec : un droit fondamental, celui des prédateurs sexuels ?

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Au Québec, Marylène Lévesque a payé de sa vie le fait que les « pulsions sexuelles incontrôlables » des hommes, même criminels, l’emportent sur le devoir de protéger des femmes de la violence, du viol et du meurtre. Faut-il vraiment commenter ?

Marylène Lévesque avait 22 ans. Elle a été assassinée dans une chambre d’hôtel où elle recevait des « clients », à Sainte Foy, un quartier de la ville de Québec, le 22 janvier 2020. Poignardée à l’arme blanche. Un fait divers de plus ? Non, l’expression crue de la société profondément patriarcale qui sévit encore au 21ème siècle, l’aveu de la prééminence absolue donnée au droit sexuel masculin.

Car Eustachio Gallese, 51 ans, condamné a perpétuité en 2006 pour avoir assassiné son épouse à coups de marteau, avait été placé en liberté conditionnelle avant la date minimale prévue (2021) alors qu’il était considéré comme dangereux. Mais ce n’est pas le pire. Apparemment animé d’encombrantes « pulsions », il aurait obtenu de la Commission des libérations conditionnelles un passe-droit pour assouvir des « besoins irrépressibles ».
Un rapport de cette commission fait en effet état d’une « stratégie » pour permettre à cet homme de pouvoir rencontrer des femmes « mais seulement afin de répondre à [ses] besoins sexuels » ! En clair, les autorités judiciaires, qui ont exprimé leur inquiétude de le voir approcher des partenaires féminines, l’auraient autorisé à rendre visite à des… « prostituées ».

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On a bien lu. Dans un pays, le Québec, où la loi interdit désormais, comme en Suède et en France, le recours au sexe tarifé, la justice elle-même aurait renié ses propres lois pour prétendre satisfaire les exigences sexuelles d’un détenu particulièrement dangereux.

Les femmes prostituées, pas des femmes ?

Comment mieux dire que lesdites exigences sont au-dessus des lois ? Que la vie des femmes, que leurs propres exigences de dignité et de sécurité, ne pèsent rien face à elles ?

Cette affaire révèle à quel point les pires stéréotypes restent vivaces. Les femmes dites prostituées ne sont pas des femmes ; mais des êtres abstraits, de pures enveloppes dont le corps serait insensible et le psychisme inexistant. Elles seraient donc à même de subir les assauts de ceux que la société appelle des « détraqués ». Quitte à en mourir.

Naturellement, les mouvements pro prostitution se sont emparés de cette affaire pour déplorer la loi abolitionniste actuelle et prôner « un environnement contrôlé« . Sans doute n’ont-ils pas osé se féliciter de voir cette loi piétinée par des représentants de l’État, situation qui devrait pourtant les satisfaire… Quant au gouvernement fédéral, il a annoncé la tenue d’une enquête sur les motifs ayant permis à Eustachio Gallese d’avoir recours aux  services de « travailleuses du sexe », selon le terme consacré.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.