Rapport du Sénat : le « porno », ce n’est pas du cinéma !

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Le rapport publié par la délégation aux droits des femmes du Sénat ce 28 septembre marque un tournant dans la prise de conscience de ce qu’est le porno : de la prostitution filmée. Reste à transformer cette prise de conscience en actes. 

La délégation aux droits des femmes du Sénat jette un pavé dans la mare. L’objectif de ce rapport de 189 pages est radical : ouvrir les yeux de tous sur un système mondial de violences faites aux femmes, imposer dans le débat public la lutte contre ces violences et en faire une priorité de politique publique et pénale. Impensable il y a encore 5 ans.

Dépouillée de ses habits de liberté sexuelle, la « pornographie » (et plus précisément) les vidéos pornographiques diffusées sur Internet) est enfin regardée pour ce qu’elle est : une industrie multi milliardaire fondée sur les tortures et la barbarie dont la diffusion planétaire normalise la culture du viol. Ses liens inextricables avec la prostitution et le proxénétisme ne peuvent plus être ignorés, ce dont se félicite le Mouvement du Nid qui depuis des années parle de « prostitution filmée ». Dommage que les recommandations du Rapport rappellent que l’inertie accompagne trop souvent les prises de conscience…

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En matière de pornographie aussi, le silence c’est fini. Des enquêtes sont parues dans la presse et deux affaires vont donner lieu d’ici un an ou deux au premier grand procès touchant ce milieu : l’affaire dite French Bukkake, et celle qui concerne entre autres Michel Piron, fondateur du site Jacquie et Michel. 500 hommes sont incriminés, pour viols, complicité de viol, proxénétisme, traite des êtres humains, actes de torture et de barbarie. 50 victimes sont déjà dénombrées dont certaines se sont constituées parties civiles, grâce à la mobilisation d’associations féministes parmi lesquelles le Mouvement du Nid. 

Les victimes entendues

Jamais constat n’a été aussi dénué d’ambiguïtés. Jamais les femmes victimes, entendues à huis clos, n’ont été à ce point reconnues. En sortant la pornographie du champ de la fiction pour aborder le réel, le rapport frappe fort : 90 % de ses productions pourraient être incriminées pour viols, viols aggravés, agressions sexuelles ou traite des êtres humains.  Incitation aux fantasmes pédocriminels, incestes, tortures, séquestrations, misogynie, racisme, esclavage, de pareils contenus seraient inacceptables sur tout autre support. La violence, érotisée, normalisée, ne relève pas de « dérives » mais constitue l’essence même de cette industrie.

Or, qui peut encore ignorer que les codes du porno ont infiltré la culture populaire, les médias, la publicité, la téléréalité, les jeux vidéo ? Si le rapport consacre une large place à la question de l’accès sans garde fou des enfants à ces contenus, en n’hésitant pas à parler de « viol psychique », il ne s’en tient pas là. C’est la société tout entière qui en subit les ravages.

Le constat est accablant : consommation généralisée, surtout chez les jeunes hommes, escalade vers toujours plus de violence… Le porno réduit à néant les efforts de la société vers plus d’égalité en renforçant la construction d’une culture viriliste qui passe par la domination sexuelle des femmes. Et ce ne sont pas les cyniques « chartes éthiques », relèvent les sénatrices, qui sont à même de changer la donne, aucune « porno éthique » n’ayant de chance d’intéresser les consommateurs.

Quant au « consentement » des actrices, il n’a pas de sens dans le monde de la pornographie (comme il n’en a pas selon nous dans celui de la prostitution, autre face de la même pièce) : « Pour que le consentement en matière sexuelle ait un sens, il doit à tout moment être réversible », réversibilité hors de propos lors des tournages (comme dans la passe).

De la prostitution filmée

Le Mouvement du Nid, qui depuis des années utilise le terme de « prostitution filmée », se félicite que la délégation mette en exergue les liens entre pornographie et prostitution, notamment soulignés par nos représentantes lors d’une audition par les Sénatrices début janvier. Au delà des relations entre la pornographie en ligne et l’essor du proxénétisme sur mineures, sont posées des questions de fond. Les infractions de proxénétisme et de traite des êtres humains sont-elles applicables à l’industrie de la pornographie ? Ne faut-il pas étendre la définition de la prostitution à des situations sans contact physique telles que le « caming » où la personne est seule face à son écran mais rémunérée par le spectateur ?

Si l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2022 a rejeté l’inclusion du « caming » dans la définition de la prostitution et du proxénétisme, Elvire Arrighi, cheffe de l’Office Central de Répression de la Traite des Etres Humains (Orcteh) soutient que leurs critères sont pourtant remplis par la pornographie : « l’activité satisfait le besoin sexuel d’autrui, implique une rémunération ainsi qu’un contact physique ». La différence est que la personne qui rémunère n’est pas celle qui profite de l’acte sexuel.

Elle en conclut qu’il revient au législateur de définir la prostitution et de dire si elle couvre également les cas de contacts sexuels matériels dans le cadre de productions pornographiques. De son côté, Lorraine Questiaux, avocate dans l’affaire dite French Bukkake, suggère d’introduire dans la loi une définition de l’exploitation sexuelle et une nouvelle catégorie de crime d’exploitation sexuelle, qui inclurait la pornographie. 

Des recommandations… puis des actes ?

On appréciera que les recommandations aillent bien au-delà de l’indispensable appel à des solutions concrètes de blocage de l’accès aux sites porno pour les mineur.es. L’objectif est beaucoup plus large : engager une vaste prise de conscience, imposer dans le débat public la lutte contre les violences pornographiques. La question est posée : doit-on continuer à tolérer l’existence d’une telle industrie ?

Pour la délégation, la responsabilité de cette lutte incombe aux pouvoirs publics, et d’abord à l’Arcom. Elle avance l’idée de créer une catégorie « violences sexuelles » dans les signalements à Pharos, Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation sur Internet2.

Du côté des victimes, il est proposé de faciliter les suppressions de contenus illicites et le droit à l’oubli, d’élargir leur accès au 39 19, mais aussi de permettre l’émergence des plaintes en améliorant leurs conditions d’accueil. Suivent les éternels appels à la mise en œuvre de séances d’éducation à la vie sexuelle et affective (instaurées dès 2001 !).

Cette recommandation brille par sa perfection : « Les séances d’éducation à la vie affective et sexuelle doivent s’inscrire plus largement dans une éducation à l’égalité et dans une éducation aux compétences socio-émotionnelles qui incluent les notions d’intimité et de respect de l’autre, de son consentement, de sa sexualité. »

La loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel3 prévoyait elle aussi d’enfin instaurer des séances d’information à la hauteur des enjeux. Mais les années passent, les décennies, et ces ambitions restent quasi lettre morte. Il en est de même pour la formation des forces de l’ordre à l’accueil et à l’écoute des victimes. Des progrès ont certes été réalisés, mais le découragement n’est pas loin…

Faire évoluer le droit

S’il salue les remarquables avancées dont ce rapport est la preuve, le Mouvement du Nid s’étonne de l’absence dans les recommandations d’un appel à une évolution du droit. Pour caractériser les faits et étendre les poursuites pour proxénétisme, il est indispensable de faire évoluer la définition jurisprudentielle de la prostitution, une vieillerie de 1996.

Le fait prostitutionnel est au coeur du fonctionnement de l’industrie pornographique, les modes opératoires sont les mêmes, ainsi que les violences sexistes et sexuelles. Vaste chantier. Le Mouvement du Nid n’en a pas fini avec « la prostitution filmée »…

NDLR : Jeudi 29 septembre à 11h30, une coalition d’associations y compris le Mouvement du Nid, donneront une conférence de presse à la Cité Audacieuse à Paris, pour réagir à la publication du rapport et annoncer leur mobilisation contre l’industrie de la prostitution filmée.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.