Royaume-Uni : les suites des meurtres en série d’Ipswich et de Bradford

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Ipswich, Bradford. Des meurtres en série de femmes prostituées ont mis la Grande Bretagne en état de choc en 2006 puis en 2010. S’ils ont bien entendu soulevé un débat fiévreux sur les politiques à mener en matière de prostitution, ils ont aussi eu le mérite, au moins à Liverpool, de faire évoluer l’attitude de la police vis à vis d’une population jusque là abandonnée à son sort.

2010 : trois femmes prostituées sont assassinées à Bradford par un certain Stephen Griffiths… Quatre ans après les meurtres d’Ipswich, où cinq femmes prostituées avaient été assassinées par Steve Wright, la Grande-Bretagne prend brutalement conscience de l’abandon auquel sont vouées ces femmes en grande difficulté, souvent en proie à des problèmes de logement, d’alcool et de toxicomanie.

Des tentations de réouverture des bordels

Bien entendu, s’en suivent des débats passionnés. Les propositions se succèdent : ouverture de mini bordels, aménagement de zones de prostitution, sont finalement abandonnés au profit d’un durcissement de la loi vis à vis des tenanciers d’établissement et des clients prostitueurs. Le Police and Crime Act du 3 novembre 2009 décriminalise ainsi la personne prostituée mais pénalise le prostitueur qui paye un rapport sexuel auprès d’une personne ayant été contrainte par la force ou contrôlée par un proxénète. Il donne des pouvoirs accrus à la police afin de fermer les lieux de prostitution.

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Après celui d’Ipswich, le choc de Bradford relance une nouvelle fois les velléités de légalisation des bordels. Au point que le nouveau premier ministre, David Cameron, évoque en 2010 la possibilité de réexaminer la question.

Des approches créatives : l’exemple de Liverpool

Le traumatisme de ces affaires successives permet toutefois, pour la première fois sans doute, qu’une véritable importance soit accordée aux agressions et meurtres de femmes prostituées, jusqu’ici considérés comme des fatalités, des risques du métier dont les victimes seraient plus ou moins coupables. On se souvient de l’affaire Pickton, à Vancouver, au Canada, où la police avait clairement choisi d’ignorer les témoignages de femmes prostituées[À lire sur notre site : [.]], considérés comme non crédibles, alors qu’une soixantaine d’entre elles avaient disparu entre 1978 et 2002. Le meurtrier avait pu en assassiner près d’une cinquantaine avant d’être enfin arrêté.

À Liverpool, ville où le taux de meurtres de femmes prostituées est le plus élevé après Londres et Glasgow, la police a donc compris que leur criminalisation constituait un obstacle majeur les empêchant de porter plainte et de témoigner contre leurs agresseurs. Après les affaires de meurtres en série, elle a pris l’ l’initiative de se rapprocher d’associations d’aide aux personnes prostituées de façon à établir des relations de confiance avec elles. Selon le Guardian, ce changement de mentalité a abouti à des résultats significatifs : le nombre de condamnations pour agressions et viols sur les personnes prostituées a considérablement augmenté. Aujourd’hui, dans la région de Liverpool, le taux de condamnation pour les agressions contre les personnes prostituées est de 84%, et de 67% pour les viols (la moyenne nationale étant de 6,5%). Rien qu’en 2010, dix condamnations pour viols de prostituées ont été prononcées par la police de Merseyside, police territoriale du nord-ouest de l’Angleterre, contre une seule entre 2002 et 2007.

Un travail de coopération se met en place entre municipalités, services de justice et de santé pour tenter d’apporter des réponses aux problèmes de toxicomanie, de pauvreté, de logement. Et associations, personnes prostituées et police travaillent ensemble pour établir des listes de clients dangereux, les ugly mugs.

À Bristol, la police engage de la même façon les prostituées à porter plainte lorsqu’elles sont agressées. La police dit recevoir plus de 50 plaintes pour violences de ce type dans la ville chaque année (viols, kidnappings, agressions graves, violences conjugales, attaques à main armée) mais elle estime que les véritables chiffres sont beaucoup plus élevés.

Reste à voir s’étendre dans le reste du pays et ailleurs l’évolution du regard sur les personnes prostituées. On en est encore loin.

Le « client » prostitueur face à ses responsabilités

Dans ce contexte, le gouvernement irlandais examine de son côté la possibilité de voter une nouvelle loi sur le modèle suédois : le client prostitueur serait désormais condamné pour l’achat d’un service sexuel mais pas la personne prostituée. C’est après une visite en Suède de Dignity Project, structure qui offre des services en République d’Irlande aux femmes victimes de la traite, que l’idée s’est imposée. L’évaluation positive de la loi suédoise de 1999 – qui criminalisait le « client » mais plus la personne prostituée –, rendue publique en 2009, a apparemment convaincu la délégation irlandaise. Après la Norvège et l’Islande en 2009, l’Irlande espérerait ainsi, en réduisant le nombre de « clients » prostitueurs, voir diminuer la prostitution et la traite des femmes dans le pays.

En Ecosse, la criminalisation des prostitueurs est également d’actualité ces dernières années. Une campagne End Prostitution Now a été lancée par le Glasgow City Council en décembre 2009 et la députée Trish Godman a lancé en novembre 2010 une proposition de loi destinée à décriminaliser les personnes prostituées, considérées comme des victimes, et à criminaliser les « clients » ainsi que les proxénètes et les tenanciers d’établissements de prostitution.