Dans le calme paysage suisse, dont les actrices et acteurs ne manquent pas de conspuer l’abolitionnisme français, rien ou presque ne vient jamais remettre en cause l’unanimité qui unit les cantons sur la nécessité de la prostitution et de sa réglementation. Voilà qu’un dossier explosif, en éclairant les dessous de ce beau consensus, pourrait bien semer le trouble dans les esprits.
« Lieu phare des nuits genevoises », le quartier des Pâquis est une institution. La prostitution s’y exerce depuis toujours sans que personne ne s’en émeuve. Mais voilà qu’un vilain accroc vient secouer cette longue indifférence : une affaire de corruption qui mouille de nombreux policiers trop amis avec le « milieu ».
Selon la presse suisse, une vingtaine de policiers genevois auraient entretenu des liens étroits avec un « patron d’enseignes érotiques » (en français, un proxénète) récemment arrêté pour transaction immobilière suspecte. En mettant la main sur son téléphone, les enquêteurs de la brigade de criminalité informatique ont fait une trouvaille, notamment des échanges confidentiels s’étalant sur près de six ans, auxquels s’ajoutent « quantité de photos, vidéos et documents prouvant des comportements problématiques, potentiellement illégaux, des agents ». Les agents ? « Des gendarmes du poste des Pâquis, des agents de police municipale et même des membres du groupe prostitution de la police judiciaire » selon les informations du journal RTS.
Selon plusieurs sources, certains d’entre eux « auraient été en affaire avec le proxénète » et auraient participé financièrement à la location d’appartements à des femmes prostituées. D’autres auraient joué un rôle de rabatteurs pour le prévenu et contre rémunération. Enfin, tous auraient largement profité, gratuitement, des jeunes femmes elles-mêmes et du champagne « dans le cadre de partouzes, dont certaines ont été filmées ».
A en croire la fameuse Lisa, tenancière du salon Venusia choyée des médias, les policiers avaient « sexe gratuit » dans plusieurs bordels du quartier des Pâquis.« Une infraction, c’était une heure avec une fille », a-t-elle déclaré, ajoutant que la pratique était bien connue dans le milieu.
Consternation chez les élus
« Inquiets », « catastrophés », « consternés », de nombreux députés ont exprimé leur désarroi. Le socialiste Diego Esteban, vice-président de la commission judiciaire et de la police, a demandé à l’exécutif d’expliquer comment« des faits aussi graves » ont pu échapper aux instances de contrôles du canton pendant six longues années. Pour lui, cette affaire porte« une atteinte massive » à l’exemplarité des forces de l’ordre qui se sont livrées notamment à des actes relevant de la traite d’êtres humains ».
L’enquête est désormais entre les mains de l’inspection générale des services de la police. Même si, selon le procureur général du canton de Genève, Olivier Jornot,« il n’y a pas de raison particulière de perdre la moindre confiance en la police genevoise », on se permettra d’exprimer des doutes ; et de soulever les problèmes de fond posés par l’éternelle connivence, bien connue en France du temps des maisons closes, entre police et proxénètes, et toujours à l’œuvre dans les pays réglementaristes.