Violences : un leitmotiv pour les mineures victimes de prostitution

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99 %. Les chiffres peuvent difficilement être plus clairs. 99 % des jeunes filles ont subi des violences avant leur mise en prostitution. L’étude, accablante, publiée par l’Observatoire des Violences de Seine Saint Denis (novembre 2021) porte sur le parcours d’une centaine de victimes mineures suivies par l’Aide Sociale à l’Enfance. En pointant l’urgence de mieux déceler ces situations et de mieux les prendre en charge, elle confirme le message porté par le mouvement metoo : en finir avec le silence, l’indifférence et l’impunité.

Nous le savions, l’entrée en prostitution, souvent sous l’emprise d’un proxénète, n’est pas le fruit du hasard. L’étude de l’Observatoire des Violences de Seine-Saint-Denis[[La prostitution des mineures en Seine-Saint-Denis : étude des dossiers de l’Aide sociale à l’enfance. Étude publiée en novembre 2021, menée par Mathieu Scott, chargé d’études à l’Observatoire des violences envers les femmes de la Seine-Saint-Denis, sous la direction d’Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire des violences envers les femmes de la Seine-Saint-Denis, et en partenariat avec l’Observatoire de la protection de l’enfance de la Seine-Saint-Denis.]], portant sur 101 mineur·es (dont 99 filles), le prouve par A + B : elle est la suite logique d’un parcours de vie accidenté.

Parfois âgées de pas plus de 12 ans (l’âge moyen est de 15 ans), ces mineures ont pour la moitié d’entre elles subi cette situation pendant plus d’un an, parfois jusqu’à 4 ans. Il est significatif que 4 de ces jeunes filles sur 10 n’aient pas conscience d’avoir subi une situation relevant de la prostitution. Et que 3 sur 10 banalisent les actes sexuels qui leur ont été imposés.

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La vie de ces jeunes filles est catastrophique. Tout leur parcours est marqué par un continuum de violences. Pour 7 sur 10, il s’agissait entre autres de violences sexuelles ; 8 fois sur 10, de viols ou de tentatives de viols, en général répétés. Les violences qu’elles subissent sont le plus souvent tues, non reconnues, non condamnées.

Pour elles, la famille est un des lieux les plus dangereux. 9 mineures sur 10 y ont subi des violences avant la prostitution, le plus souvent par leurs parents et beaux-parents. Parmi elles, une sur 8 a subi des violences sexuelles, en général par son père ou beau-père, lui-même rarement condamné (une fois sur 6). Une fille sur 2 est co-victime de violences conjugales subies par sa mère.

Presque toutes sont en échec scolaire. Souvent victime de harcèlement, aucune n’a trouvé dans son établissement la tranquillité et la protection dont elle aurait eu besoin. De plus, 9 sur 10 sont en mauvaise santé (infections sexuellement transmissibles, troubles de stress post-traumatiques tels que troubles alimentaires ou fortes crises d’angoisses…). Une sur 5 a vécu une grossesse, la majorité ont déjà été hospitalisées, 4 sur 5 consomment de l’alcool ou de la drogue, 1 sur 4 a déjà fait au moins une tentative de suicide (la majorité d’entre elles en a fait plusieurs). Toutes ont fugué avant l’entrée dans la prostitution.

Pour au moins 9 jeunes filles sur 10, un ou des proxénètes ont été identifiés, le plus souvent de jeunes hommes âgés de 14 à 25 ans agissant au sein de réseaux. Pour une de ces mineures sur 4, c’est celui qu’elle percevait comme son petit ami qui l’a prostituée. Ces hommes ont bénéficié d’une incroyable impunité : seuls 3 % d’entre eux ont été condamnés, auxquels s’ajoutent 4 % des proxénètes pour lesquels un procès était en cours au moment de la consultation des dossiers. Pour trouver des « clients » (des hommes âgés de 14 à 60 ans), tous postaient des annonces en ligne sur Wannonce, Sexmodel, Coco, Snapchat et Instagram.

Suite aux signaux d’alerte, la quasi totalité de ces jeunes filles a bénéficié d’une prise en charge : consultations de santé, soins psychologiques, orientation vers des associations telles que l’Amicale du Nid. Malheureusement, seules 4 sur 101 ont pu accéder à des soins en psychotrauma.

Au moment de la consultation des dossiers, une sur 4 était définitivement sortie de la prostitution, dont 4 sur 10 sont des majeures ayant bénéficié d’un contrat Jeune Majeure. Une sur 20 était encore en situation de prostitution. Et 7 mineures sur 10 restaient en danger.

L’étude de l’Observatoire, qui annonce le lancement de nouveaux dispositifs pour lutter contre cet édifiant état des lieux, confirme les constats établis dans le précédent rapport de la procureure Catherine Champrenault (juillet 2021) rendu au secrétaire d’État à l’enfance, Adrien Taquet. Une grosse proportion (de ces jeunes) souffre de carences affectives et/ou éducatives liées à des contextes familiaux dysfonctionnels, écrivait la magistrate. Surtout, ce rapport montrait le degré d’impunité dont bénéficient les agresseurs.

Le constat implacable de ces études ne fait que corroborer les observations du Mouvement du Nid depuis des décennies. Les femmes dont nous recueillons les récits nous racontent pour beaucoup d’entre elles les viols et agressions qu’elles ont subis très jeunes et qui n’ont jamais été parlés ni réparés. Lutter dès le plus jeune âge contre les violences faites aux filles s’impose donc comme une évidence. Pour cela, encore faut-il que les victimes aient conscience des violences qu’elles subissent et qu’elles aient la possibilité de les dénoncer, chose difficile dans un contexte de glamourisation du « travail du sexe » ; et que la société dans son ensemble, des établissements scolaires aux médecins et aux tribunaux, ait la volonté d’y mettre fin.