Nous vivons un incroyable changement d’époque. Ce livre en est une preuve encourageante, ne boudons pas notre plaisir. Le programme en est donné dès les premières lignes : « Les hommes ont mené tous les combats sauf celui pour l’égalité des sexes. Ils ont rêvé toutes les émancipations, sauf celle des femmes. » Et c’est ce qui est en train de changer.
L’auteur, Ivan Jablonka (qui avait déjà montré sa sensibilité féministe dans son beau livre Laëtitia), s’attelle à dresser un état des lieux de ce combat dans le contexte d’une machinerie patriarcale universelle. Au terme d’égalité, il accole le beau mot de «justice» : égalité des sexes, justice de genre. Car c’est d’injustice qu’il s’agit, depuis des millénaires.
Le patriarcat est un système de pensée qui imprègne nos vies entières et nous assigne une place apparemment «naturelle» : aux hommes le théâtre du monde, aux femmes, que tout a préparé à la servitude, l’asile domestique. Le tout sous une apparence de complémentarité qui en réalité garantit le pouvoir des premiers en feignant de valoriser les secondes : mari/épouse, chevalier/dame, peintre/ modèle, cinéaste/comédienne, patron/ secrétaire.
Comme le souligne l’auteur, au long des siècles, la réalisation des hommes repose sur l’exploitation des femmes. Et même les révolutions n’y changent rien. Pourquoi la révolution des droits n’a-t-elle pas détruit les structures patriarcales ? Pourquoi les femmes continuent-elles de pourvoir au bien-être individuel et collectif, à apporter« des soins de type maternel à la famille et à la société » ?
Un monde androcentré
Systématiquement renvoyées à leur dimension utilitaire, à leur « fonction femme», ces dernières restent con nées dans un monde androcentré. Aujourd’hui encore, les mots de nos langues, les espaces de nos villes, l’organisation de nos entreprises, les recherches de nos intellectuels, les expressions de la culture populaire, tout est sexiste.
Il faut donc en finir avec le sexisme institutionnel, qui survit furieusement à l’émancipation des femmes. En étendant leurs droits, c’est l’évidence ; mais aussi en décidant de «transformer le masculin ».
Car, Jablonka a raison de le rappeler, l’impératif de virilité est aussi un fardeau et « le dominant finit dominé par sa propre domination ».
La misogynie qui viole et qui tue, le rabaissement des femmes par les violences, les discriminations et les stéréotypes (la «pute» n’est pas le moindre), le féminicide comme «terrorisme patriarcal », le masculinisme, rien ne nous est épargné des «pathologies du masculin ». L’addition est salée mais les motifs d’espoir réels. Car le mouvement vers la justice de genre, condition désormais inséparable de notre idée de la démocratie, est irréversible.
Une nouvelle masculinité
Un tour d’horizon particulièrement documenté nous réserve d’ailleurs quelques heureuses surprises et une belle galerie d’«hommes justes», bien au delà de notre pré carré occidental ; assortie d’un joyeux portrait des fémi- nistes (c’est si rare), rebelles, insoumises, rieuses, solidaires.
Une nouvelle masculinité émerge partout dans le monde, avec la montée, contre vents et marées, d’une culture de l’égalité et du respect, et la promesse, pourquoi pas, d’une «sexualité plus heureuse dans le monde post Weinstein ».
Pour finir, Ivan Jablonka forme comme nous le vœu de voir « nos fils devenir des hommes justes et nos filles des femmes libres ». Une formule qui ne peut que rencontrer un écho dans nos cœurs abolitionnistes.
Car son combat est le nôtre, avec le même refus de voir les femmes assignées à leur fonction d’outil de plaisir sexuel ; un aspect majeur de la « fonction femme », un pilier si fondamental du patriarcat qu’il ne peut que susciter (nous en savons quelque chose) de formidables résistances.