Justice est enfin rendue à Josephine Butler, grâce à cette « biographie située » de Frédéric Regard, professeur de littérature anglaise et déjà auteur d’une indispensable histoire de la prostitution en Angleterre au 19e siècle.
Personnalité exceptionnelle, chrétienne convaincue, féministe, et défenseuse des enfants, on découvre dans cet ouvrage une Josephine Butler infiniment courageuse, déterminée, féministe et pionnière.
Dans une Angleterre victorienne qui tentait de contenir la syphilis galopante, en particulier au sein des armées, en ne s’en prenant pas aux hommes mais seulement aux femmes prostituées, et à toutes les femmes (loi sur les maladies contagieuses), elle dénonce sans relâche une atteinte profonde aux droits humains. En effet, la loi prévoit que toute femme circulant seule dans la rue puisse être soumise, sans son consentement, à un examen gynécologique et hospitalisée (enfermée, en réalité) jusqu’à neuf mois si elle est porteuse d’une maladie.
Des viols médicaux
C’est une atteinte grave à l’Habeas Corpus, (qui interdit d’être emprisonné·e sans jugement), dénonce Butler, mais c’est aussi un viol : « Elle note que le gynécologue (Acton, qui veut mettre en place le réglementarisme, NDLR) ne donne jamais la parole aux victimes, celles qui vivent les contrôles comme de véritables ‘viols chirurgicaux’, selon ses propres termes ». Elle, qui a accueilli chez elles des femmes victimes de prostitution et de syphillis et créera des foyers, est la seule à les écouter.
Rapidement le législateur est obligé de revenir en arrière…mais il contourne l’obstacle en rendant obligatoire « d’obtenir le consentement » à l’examen de la femme arrêtée. Josephine Butler ne sera pas dupe, et continuera à lutter contre ce consentement de façade.
Pour mener son combat, fine stratège, elle choisit de ne pas lutter contre les conservateurs mais de semer le doute au sein du « labor », les travaillistes. Ainsi, elle trouve des hommes -eux seuls sont éligibles- pour se présenter aux élections contre un autre membre du parti, espérant ainsi faire bouger la gauche.
Mais à l’époque, la violence politique est grande. « Son » candidat est attaqué physiquement. Elle, alors qu’elle s’adresse à des femmes dans une grange séparément, eéchappe de peu, tout comme les participantes, à un incendie volontaire destiné à l’éliminer. Être militante féministe, et abolitionniste, c’était mettre sa vie en danger…
Une prostitution colonialiste et raciste
Après des décennies de combat, Butler obtient que la loi tombe. Mais, elle découvre que dans l’Empire, en Inde, la loi existe toujours. Fatiguée, elle ne peut y aller elle-même. Deux femmes y vont pour elle, ce qu’elles découvrent est terrible : « chaque place militaire est dotée d’un bâtiment voué à la prostitution, un « chakla » dont la taille peut varier en fonction des effectifs militaires ». Des filles, de souvent à peine 12 ans, sont vendues en raison de l’extrême pauvreté, pour y être exploitées.
Les autorités coloniales le justifient par le fait que « la prostitution est un commerce ancestral en Inde, que c’est tout une économie traditionnelle qui est menacée (..) et que les notions de honte et de pudeur qui sont en vigueur en Europe ne sont pas transposables en Asie ». On croirait entendre parler du plus vieux métier du monde et du relativisme culturel aujourd’hui…Là encore, Butler finira par obtenir gain de cause.
Relever le seuil de consentement
Enfin, on ne sait pas assez que c’est elle, révoltée par l’exploitation sexuelle des petites filles, qui touche d’abord les plus défavorisées, qui a obtenu que l’âge du consentement en Angleterre passe de 12 à 16 ans.
On ne peut raconter ici tout ce que cette biographie, très agréable à lire, nous apprend de la violence de l’époque envers les femmes, et du courage de Josephine Butler. On retiendra qu’elle fut pionnière en tout, lutte contre le sexisme, racisme, pédocriminalité, et le réglementarisme. Et que son combat abolitionniste résonne toujours avec une immense force au XXIe siècle…
Josephine Butler, croisade d’une pionnière féministe, de Frédéric Regard 2021, Les Editions de Paris, Max Chaleil
A lire également :
–notre série d’articles sur la vie de Josephine Butler, parue l’été dernier
–Féminisme et prostitution dans l’Angleterre victorienne au XIXe siècle
NB nous évoquerons Josephine Butler avec l’auteur, lors du prochain « lundi de Prostitution et Société », le 13 septembre )