« M », pour « Mouvements » et « Mobilisations ». Nouvelle collection fondée entre autres par notre ami québécois Richard Poulin, M sonde les mouvements sociaux et politiques et les questions d’actualité du point de vue des dominéEs et des exploitéEs
. Deux traductions indispensables ont déjà fait notre bonheur : Les prostitueurs de Victor Malarek, et L’être et la marchandise de Kajsa Ekis Ekman.
M Éditeur arrive à point nommé. Seule, cette nouvelle maison québécoise, féministe et abolitionniste, pouvait mesurer tout l’intérêt de traduire des ouvrages capables d’apporter des munitions au débat sur la prostitution.
Écrit par la journaliste Kajsa Ekis Ekman en suédois, L’être et la marchandise, sous-titré prostitution, maternité de substitution et dissociation de soi
, nous arrive ainsi en français, riche de son solide argumentaire contre le discours néolibéral de légitimation du système prostitueur.
L’ouvrage est d’autant plus actuel – et nécessaire – qu’il explore les parallèles avec la maternité de substitution
, plus connue sous l’appellation de mères porteuses
. Marchandise sexuelle, marchandise maternelle, les femmes sont visées par des formes renouvelées d’oppression que Kajsa Ekman décortique avec un entrain infatigable.
Quant au Canadien Victor Malarek, son livre Les prostitueurs, traduit de l’anglais par Martin Dufresne, est l’outil le plus documenté dont nous disposions à ce jour pour analyser le chaînon manquant
de la question prostitutionnelle, et à l’échelle internationale. Malarek n’y va pas par quatre chemins. Face au comportement des « clients », il dénonce rien de moins qu’une tragédie
, un terrorisme sexuel international à l’encontre des femmes et des enfants
et s’emploie à analyser leurs excuses bancales
et leurs intérêts sexuels et de pouvoir.
Car le prostitueur est roi. Il a le pouvoir, tous les pouvoirs; celui de choisir, d’oublier le réel, de s’offrir du filet mignon
au lieu de ce vieux hamburger
qu’est sa femme; de régner sur une esclave sexuelle, de se venger au Cambodge ou ailleurs de la peste féministe
, de ces arrivistes assoiffées de pouvoir
que seraient les femmes occidentales.
Pour lui, le plus souvent, payer compense tout préjudice éventuel. Elles sont là de leur propre volonté et elles aiment ça. Le sourire d’une esclave sexuelle prouve son consentement
, explique Malarek. Pour peaufiner le système, la société toute entière est là pour servir les intérêts du prostitueur. Car ce qu’il prend soin de présenter comme un passe-temps anodin, bénéficie du concours de puissants accélérateurs: la pornographie, devenue de plus en plus misogyne et de plus en plus violente, théorie appelant une traduction pratique, et Internet, qui lui permet, à travers les «forums» de discussion et autres réseaux, d’appartenir à une communauté légitime, d’échanger tuyaux, commentaires et même propositions barbares comme ces invitations à se défouler dans des camps de viols
en Asie ou ailleurs.
Chez M Éditeur, la lecture n’est pas toujours légère. Le vrai visage de certains de ces hommes, trahi par leurs propos, frise l’insoutenable. Mais le but n’est pas la lamentation mais l’action. Comme Ekman donne des armes pour se battre, Malarek fait un tour critique des politiques en vigueur, jetant un coup d’œil appuyé du côté de la Suède qui a su faire de l’achat d’acte sexuel un acte désapprouvé socialement : un tiers de la population suédoise était favorable à la pénalisation des « clients » lorsque la loi est entrée en vigueur, en 1998. Quinze ans ont passé et plus de 70 % reconnaît son bien-fondé. Et comme il ne s’agit pas de rester les bras croisés, il assortit ses réflexions d’une série de propositions résolument abolitionnistes pour que les prostitueurs soient enfin contraints d’assumer la responsabilité de leur comportement.