Métamorphoses, sorti en septembre 2014 au cinéma, est une brillante adaptation du texte antique d’Ovide. Il donne à voir quelques-uns des mythes gravés dans l’âme de notre société, charriant leur content de violence sexuelle. Les Métamorphoses, ou les origines du viol…
Définitivement, les mythes et les contes anciens irriguent notre imaginaire collectif et n’en finissent plus d’inspirer les artistes. C’est précisément ce que nous rappelle le réalisateur Christophe Honoré. Après avoir adapté dans un lycée parisien La Princesse de Clèves, avec La belle personne (2008), L’érotisme de Bataille (Ma mère, 2003) ou redéfini le genre comédie musicale, Christophe Honoré cherche à se renouveler en mettant en scène quelques-uns des plus célèbres récits poétiques des Métamorphoses d’Ovide.
Réalisé avec une majorité d’acteurs et d’actrices non-professionnels, le film est une transposition géniale et légère de grands récits mythologiques dans des situations contemporaines ; il a été largement salué par la critique qui lui attribue une prestigieuse filiation (Cocteau, Renoir, Godard).
Illustration fantastique de la culture du viol
Face à ces jeunes femmes et ces jeunes hommes enlevés, chassés, capturés, domestiqués, le tout dans une nature luxuriante et sans effets spéciaux, le spectateur est souvent pris d’un sentiment de malaise. Derrière la tendresse que l’on éprouve pour les personnages, se cache une illustration efficace ce que les féministes américaines ont appelé la « culture du viol ».
La notion, qui recouvre l’ensemble des croyances présentant les violences sexuelles comme anodines, inévitables ou nécessaires, décrit un fondement anthropologique au cœur de nombreuses sociétés. La prostitution, la pornographie mais aussi la publicité, le cinéma ou la littérature alimentent ce même mouvement inconscient, qui justifie les agressions sexuelles en reportant la responsabilité sur la victime : elle l’aurait « bien cherché », elle y aurait même « pris du plaisir » ou y « trouverait son compte ».
Des corps pliants au gré du désir masculin
Je me propose de dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux
, annonce le poète Ovide à l’orée des Métamorphoses. En portant à l’écran les histoires d’Io, des Minyades ou de Syrinx, Honoré aborde avec futilité la lourde problématique du viol. La métamorphose est présentée comme un choix, une fuite et un substrat heureux à la domination des corps par des dieux et des demi-dieux en rut.
Pourtant, tous ces êtres de fiction sont réifiés : Io devient une génisse offerte à Junon et surveillée jour et nuit, les Minyades des oiseaux et Syrinx transformée en roseaux, la flùte qui ne quittera plus Pan. Des corps nouveaux certes, mais toujours des corps qui plient devant la pulsion sexuelle des mâles ; la métamorphose n’a finalement rien de merveilleux.
En actualisant la poésie d’Ovide, Christophe Honoré met en lumière certains de ces mythes qui ont imbibé la civilisation occidentale et font des femmes des corps vulnérables et rappelés à l’ordre. Loin du fantasme de la table rase qui consisterait à se débarrasser de l’ensemble des productions culturelles, ce film exemplifie la nécessité de comprendre les ressorts du sexisme, pour mieux résister et lutter face à ses manifestations contemporaines.