« Pute n’est pas un projet d’avenir »

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« Pute n’est pas un projet d’avenir » : Voila un récit qui se lit d’une traite. Une immersion dans la vie d’une jeune femme, qui décide, parce qu’elle a besoin d’argent pour elle et sa fille qu’elle a eue jeune et dont le père est absent, de recourir à la prostitution.

Souhaitant poser ses limites et rester maîtresse de la situation, elle décide qu’elle s’installera comme masseuse « avec finitions » manuelle ou fellation. Elle est nue, mais pas question que les hommes la touchent.

S’ensuit un récit assez puissant, une longue litanie de toutes les façons dont les « clients » prostitueurs, tous des hommes, vont défiler, espérant presque toujours obtenir d’elle plus, toujours plus. Mais elle leur tient tête. Ainsi, celui qui change trois fois de téléphone pour pouvoir continuer à la harceler, malgré le fait qu’à chaque fois, elle bloque son numéro…

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pute n'est pas un projet d'avenirLouise Brévins (c’est un pseudonyme) dit qu’elle les aime, ses 800 « clients ». Qu’elle les déteste, aussi. Qu’à la fin, elle avait envie de les tuer. Leur description est un tableau absolument désespérant -mais réaliste ? de la masculinité. L’avant-dernier chapitre décrit les messages reçus sur son téléphone : il fait froid dans le dos. 

« Je reçus d’autres lettres d’amour du membre érectile, pendant un mois. J’avais bloqué le contact, mais les mails m’arrivaient par d’autres adresses. Déshumanisée au plus haut point par ce tordu qui ne voyait littéralement en moi qu’un vagin, j’ai fini par réellement m’énerver ».

Elle finit, après trois ans de pratique régulière, par raccrocher. Ce qu’elle décrit alors, c’est que malgré toutes les limites qu’elle a posées, malgré la séparation qu’elle a réussi à faire entre la Louise réelle, et l' »Alma », masseuse, elle n’en peut plus. 

«  Je ne supportais plus rien. Je ne supportais plus l’odeur de l’huile dans cette chambre sombre, je ne supportais plus ni l’odeur du latex ni des corps qui défilaient, je ne supportais plus qu’on me touche  ». 

«  Mon humanité, ma bienveillance, mon empathie, tout avait été impacté, tordu, sali  ». 

L’autrice ne regrette pas aujourd’hui son activité, car cela l’a aidée à un moment de la vie. Mais dans l’un des derniers chapitres, elle fait un vibrant plaidoyer pour que les jeunes filles  ne fassent pas comme elle, ne se laissent pas avoir par l’attrait de l’argent rapide, et par les sollicitations perpétuelles des hommes. Car même sans regret, elle affirme : « Il était urgent d’arrêter pour ne pas en tuer un. À la fin, je me sentais devenir schizophrène. Je continuais d’être aimable et enjouée, de tenir mon rôle, tout en me disant : « Qu’est-ce que tu vas tenter, toi, connard ?». Belle description là encore de la dissociation et de ces conséquences traumatiques auxquelles, même « consentante », elle n’a pas échappé. 

«  La puterie, c’est un viol consentant à bon escient  ». 

L’autrice rejette clairement l’abolitionnisme. Pour elle, la loi qui pénalise les « clients » est  une bien mauvaise idée. Elle ne reconnaît pas en effet la responsabilité du « client » dans ce « viol consentant » dont elle ne craint pas l’oxymore. Au journal Le Point, Louise Brévins explique : « Le viol est un rapport sexuel non consenti. La pute consent, certes, mais elle ne désire pas, et la question de sa jouissance, de qui elle est, de ce qu’elle veut ne se pose jamais ».

Encore un exemple édifiant : « bonjour, je cherche une femme avec de belles courbes. De vraies courbes. Si vous faites plus de 110 ou 120 kilos, c’est parfait. J’aime plonger mes mains dedans. De votre côté, cela vous permettrait aussi de vous sentir désirée et désirable et cela vous redonnerait confiance en vous. C’est donc du gagnant-gagnant. Qu’en dites-vous ? »

Comment est-ce possible, avec une telle lucidité, après ces 800 hommes passés sur sa table de massage, et ce dégoût de leur corps, de leurs mots, de leur comportement, après un tel rejet de la prostitution, de ne pas les condamner ?

On se dit alors que peut-être, justement, l’accumulation de dégoût l’a finalement convaincue  que c’est leur nature qui les a fait ainsi… Que se décharger sexuellement en déshumanisant une femme serait pour eux « un besoin comme manger, boire »…  sinon, comment pouvoir encore les supporter  ? 

Quand nous, peut être, encore idéalistes, pensons qu’ il n’y a pas de fatalité, mais qu’avec une éducation égalitaire, ils pourraient changer…

Pute n’est pas un projet d’avenir, Louise Brévins, Editions Grasset, 2023

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