Près de trente années. C’est le temps qu’il a fallu à Laurence pour sortir enfin du silence. Son livre, au titre en forme de manifeste, Renaître de ses hontes, est le symbole même d’une renaissance. Victime d’inceste, de maltraitances, de prostitution, Laurence a été alcoolique et toxicomane. Aujourd’hui, elle est formatrice en relations humaines et travaille sur la prévention de la violence auprès de délinquants, majeurs et mineurs, notamment en milieu carcéral : un parcours hors du commun et pourtant tout simplement humain, avec ses espoirs, ses rechutes, ses déceptions, ses victoires.
Pour le Mouvement du Nid (éditeur de ce site), l’histoire de Laurence est exemplaire. D’abord parce que c’est l’association qui lui a permis de s’arracher au réseau qui la séquestrait, à 17 ans, rue Saint-Denis. Elle nous avait alors confié (sous le pseudonyme de Noëlle, qu’elle a choisi de garder pour son livre) les viols incessants, la peur, le sentiment d’anéantissement[Laurence avait témoigné auprès de Derib pour la BD [Pour toi Sandra (1996) largement inspirée de son histoire.]]. Ensuite parce que son chemin de résilience montre que la prostitution, comme les autres violences qu’elle a subies, est une destruction de la personne, un déni de ses compétences, de ses potentialités, de ses désirs, mais que des issues existent pour reconstruire une vie plus riche, plus épanouie. Enfin, parce qu’elle prouve qu’il devient possible de vaincre la honte qui ligote encore les victimes de violences, et notamment de prostitution : la honte, cette arme à verrouiller le silence, est en train de reculer. La parole se libère.
L’écriture est directe, avec des lignes terribles sur l’inceste, mais aussi sur le quotidien de la prostitution, cru, sans mots châtiés. Le récit éclaire, mieux que toute théorie, comment peuvent s’enchaîner les expériences destructrices : J’ai fait la morte lors de l’inceste et j’ai continué dans la prostitution. (…) Mon vécu de prostituée n’a fait que renforcer ma honte d’exister.
Laurence a consacré quatre années à l’écriture – des années dures, marquées par les vomissements, les crises de sanglots -, avec un but essentiel ; au delà de la dimension thérapeutique personnelle, apporter le message d’une diplômée de la vie
à celles et ceux qu’elle rencontre dans son parcours professionnel et qui sont eux-mêmes sidérés par la honte et tentés de baisser les bras. Car elle n’évoque les souvenirs douloureux que pour montrer le processus qui lui a permis de transformer à cause de
en grâce à
, de conquérir une force qu’elle ne savait pas posséder. Elle mesure l’importance des rencontres, des tuteurs de résilience
comme le Mouvement du Nid, les Alcooliques Anonymes ou les moines bouddhistes. Et quand elle décrit les addictions, la boulimie, les fugues, la défonce, les dépressions, la séduction pour croire exister, c’est pour en montrer le décryptage grâce à un patient travail de psychothérapie : un éclaircissement qui lui permet d’identifier les vieux scénarios d’échec et de comprendre par exemple pourquoi elle rencontre successivement plusieurs proxénètes.
Voilà un livre stimulant qui est pour son auteure une délivrance mais aussi le symbole d’un engagement puisque Laurence est prête à témoigner publiquement et invite d’autres personnes à parler à leur tour, et la tête haute. L’heure n’est plus au silence face au lobbying actif des partisans de la prostitution comme métier. Un mouvement est en marche, comme le prouve l’organisation croissante des survivantes
de la prostitution partout dans le monde. Renaître de ses hontes constitue à cet égard un véritable outil pour les associations qui travaillent sur les violences, violences faites aux enfants, violences faites aux femmes, souvent indissociables ; et au-delà, pour tout un chacun, un document de valeur qui montre que chaque épreuve peut être l’occasion d’ouvrir des chemins de renaissance.