Avec Sacha, Arte.tv diffuse une mini-série de six épisodes de facture classique, mais exceptionnelle en son genre : la prostitution et le continuum des violences y sont montrés de façon réelle et juste. Ce n’est pas étonnant, sachant qu’une survivante, Nicole Castioni, est co-scénariste et que l’histoire s’inspire de sa vie.[[Elle était déjà autrice du « Soleil au bout de la nuit » dont une des pièces de théatre phare de la sensibilisation au Mouvement du Nid est inspirée.]]
Dans un commissariat de police de Genève, deux femmes sont assises dans une cellule. L’une, Anne Dupraz, procureure, est en détention provisoire pour tentative d’homicide. L’autre, Sacha, la regarde depuis le coin de la pièce. “Faut que tu leur parles de moi” lui dit Sacha.
Anne la regarde avec effroi. Elle sait ce que cela implique de parler de Sacha aux policiers, de leur expliquer pourquoi elle a tiré sur un homme sans motif apparent. Elle ne le sait que trop bien puisque Sacha, c’est elle. Sous son nom de prostituée. Celui sur qui elle a tiré, c’était son proxénète.
La série Sacha est un thriller psychologique, sur fond d’enquête policière. Alors que l’intrigue avance, on apprend que la victime de la tentative d’homicide, Gilles Sarreti, était propriétaire d’un restaurant dans lequel la police a retrouvé un doigt humain, plus tard identifié comme appartenant à une femme prostituée.
Sacha, ombre du passé
L’enquête commence. Le récit policier nous donne à voir la réalité des réseaux de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, et montre bien comment la légalisation de la prostitution en Suisse institutionnalise la violence dans laquelle sont plongées les victimes de prostitution, plutôt que de les en protéger.
Au terme de la série, on réalise que l’intrigue policière a surtout servi à raconter un autre récit : celui d’Anne /Sacha, et de son passé de femme prostituée. Sacha est sous l’emprise de son petit-ami devenu son proxénète. Il l’isole de son entourage en lui promettant un avenir de comédienne à Paris, puis installe un climat de terreur autour d’elle. Il la dévalorise constamment, la frappe lorsqu’elle menace de partir, puis se confond en excuses et en déclarations d’amour. Le scénario montre très bien la stratégie de l’agresseur.
C’est une série politique, sans être idéologique; même si certaines scènes auraient pu être moins démonstratives.
Continuum des violences sexistes et sexuelles
La série aborde également l’inceste et l’amnésie traumatique dont Anne a été victime pendant cinq ans par son frère. Le scénario met un point d’honneur à illustrer comment se manifeste le continuum des violences sexistes et sexuelles. Dans une scène de flashback lors d’un déjeuner en famille, le père et le frère d’Anne rient du fait d’aller voir des femmes prostituées devant elle et sa mère, qui ne disent rien. Ce silence paraît relever de l’habitude, celle de, comme sa mère le lui répète, “garder ses problèmes pour soi”.
Les violences sexuelles dans l’enfance agissent très clairement comme un conditionnement à la prostitution, telle qu’elle l’exprime elle-même dans le dernier épisode.
Une scène magistrale d’interview télévisée, qui mériterait d’être diffusée en prévention, est une véritable profession de foi d’une survivante de la prostitution. Qui nous ferait presque oublier qu’on n’aura jamais le dénouement de l’enquête policière elle-même. Ce n’est clairement pas le propos de la série, qui vise à faire comprendre les dynamiques de pouvoir, de domination et de violences qui caractérisent le système prostitutionnel.
Quant à l’intrigue amoureuse, qui pouvait paraître un peu superflue de prime abord, elle permet finalement de comprendre les difficultés pour les survivantes de retrouver une vie « normale », tout en ouvrant la possibilité de s’imaginer un futur apaisé.
Regarder la série sur Arte.tv