Sky Rojo, mini-série qui suit trois femmes qui se sont retrouvées exploitées et violentées dans les bordels espagnols, fait preuve d’une grande lucidité sur le système prostitueur. Mais la narration risque-t-elle d’amoindrir le message ? Nous avons confronté notre regard avec celui de Daria Khovanka, survivante de la prostitution.
Diffusée sur Netflix et réalisée par les producteurs de «La Casa de Papel », Sky Rojo nous a fait penser à « El Proxeneta », le documentaire de Mabel Lozano, dans lequel un proxénète repenti raconte ce qui se passe dans les «clubs» espagnols.
Cora, Wendy et Gina, trois femmes prostituées dans un bordel géant de Tenerife, sont en cavale, après que l’une d’elle a assommé leur proxénète, le patron du club, pour défendre son amie. Alors qu’elles sont poursuivies par les deux hommes de main du patron, elles tentent de survivre, et peu à peu, leurs parcours de vie nous sont dévoilés. Des parcours tels qu’on les connaît dans la prostitution, violences antérieures, traite des êtres humains, exploitation de la vulnérabilité, violences du bordel et des « clients », femmes piégées dans une dette qui ne s’efface jamais… tout y est. Le cynisme des proxénètes, qui n’hésitent pas à dire qu’ils jouent sur les fragilités des victimes, en leur apportant de l’attention par exemple, sont très bien rendus.
Mais Sky Rojo, n’est pas un documentaire. Et c’est là que les interprétations sur la série diffèrent. Tout ce système de destruction massive de femmes, qui fait dire à la survivante Amelia Tiganus qui a connu ces «clubs» que « ce sont des camps de concentration pour femmes », est-il compatible avec la « mission » de divertir que se donne une série de fiction ? De l’aveu même de sa réalisatrice Esther Martínez Lobato,
« La destruction émotionnelle générée par la prostitution est sans voie de retour possible. Cette série n’est pas un documentaire. Notre mission reste de divertir. Il fallait faire des compromis, laisser un rai d’espoir pour que Sky Rojo reste supportable »
Trouver la bonne distance
Rendre supportable ce qui ne l’est pas, c’est prendre risque de le rendre invisible par une caméra racoleuse. Des femmes qui, même blessées, après une course poursuite, sont toujours impeccablement sexy, des rebondissements permanents et totalement irréels, leur souffrance tournée en gag (quand l’une d’elle prend des analgésiques pour animaux et se met la tête la première dans la piscine et que la caméra la montre comme un pantin désarticulé… dans un effet se voulant comique), cela nous a semblé aller à l’encontre de l’objectif. Voire ne pas susciter d’émotion.
Mais en discutant avec Daria, nous nous sommes rendu compte que l’effet pouvait être réussi pour des spectatrices et spectateurs très habitués à ce rythme – les plus jeunes en particulier, et même aider à créer l’empathie..
En effet, Daria a trouvé que la réalisatrice avait su trouver le bon équilibre entre la représentation de la réalité brutale des bordels et l’aspect « divertissement» nécessaire à une large diffusion sur une plateforme grand public telle que Netflix. Pour elle, ce sont justement l’humour et le côté très rythmé et actuel qui peuvent parvenir à rendre écoutable le message.
« Je pense que l’humour aide à encaisser la violence de la série. Même si on a trouvé que c’était très dur à regarder, on a explosé de rire par moments, et je crois que ces moments permettent de décharger la tension et de rester en capacité d’être en empathie avec les personnages. Sinon, à un moment donné, on se coupe et on devient hermétique».
Elle nous dit également avoir trouvé beaucoup de justesse dans les relations entre les trois femmes qui tentent de s’échapper, à la fois dans leur compréhension mutuelle et la force des liens qui les unissent, mais aussi leur cynisme, leur violence et leur gestuelle qui traduit ce qui n’est pas possible d’exprimer par des mots. A voir sur Netflix, pour vous faire votre propre opinion !