La prostitution constitue et a toujours constitué un thème privilégié de la littérature.
Aussi, nous a-t-il paru important de mettre en lumière la façon dont elle est dépeinte par les romanciers.
_ Dans cette rubrique, les citations littéraires sont mises en parallèle avec les témoignages actuels des personnes prostituées, comme des clients.
_ Une mise en perspective riche d’enseignements!
L’homme la déposa sur le parquet, s’éloigna sans bruit. Sa gouvernante trouva Séverine étendue. On crut qu’elle avait glissé. Elle le crut aussi.
Belle de Jour, Joseph Kessel, Folio, 1972, prologue.
Pour aller de sa chambre à celle de sa mère, Séverine, qui avait 8 ans, devait traverser un long couloir. Un plombier parut. Il était petit, épais. Son regard, filtrant sous de rares cils roux, se posa sur la petite fille. Séverine, qui pourtant était hardie, eut peur, recula.
Ce mouvement décida l’homme. Il jeta un coup d’œil autour de lui, puis, des deux mains, attira Séverine. Elle sentit contre lui une odeur de gaz, de force. Deux lèvres mal rasées lui brùlèrent le cou. Elle se débattit. L’ouvrier riait en silence, sensuellement. Ses mains, sous la robe, lissèrent le corps doux. Soudain, Séverine ne se défendit plus. Elle était toute raide, blanche. L’homme la déposa sur le parquet, s’éloigna sans bruit. Sa gouvernante trouva Séverine étendue. On crut qu’elle avait glissé. Elle le crut aussi.
Dans ce roman, écrit en1928 par l’écrivain français Joseph Kessel, une bourgeoise, Séverine, fait des « passes » l’après-midi dans un bordel de luxe, à l’insu de son mari.
Le roman a fait scandale dès sa parution. Luis Bunuel a tiré un film de ce roman, avec Catherine Deneuve dans le rôle principal. À aucun moment dans ce film, il n’est fait mention du viol subi par l’héroïne, alors qu’elle était une petite fille.
Tout le monde est resté dans le silence pendant des années.
Témoignage de Marion, Prostitution et Société n°177.
À 14 ans, il y a eu un événement qui a tout bouleversé dans ma vie. J’ai été violée. En descendant du car scolaire, un monsieur nous a reconnues, ma sœur et moi, et il a proposé de nous raccompagner jusqu’à la maison. Je ne voulais pas monter. Mais ma sœur y est allée. Je l’ai suivie. J’ai été violée sous ses yeux.
_ Quand on est rentrées, mon père a senti que quelque chose s’était passé. Mais rien n’a été dit. Tout le monde est resté dans le silence pendant des années. Dès que je croisais mon père, nos yeux se baissaient. Je ne pouvais plus supporter ce regard.
On est restés dans un non dit total. Comme si ce viol n’avait jamais existé.
Témoignage de Julie, Prostitution et Société n°175.
Mon frère a eu des gestes incestueux sur moi. J’avais entre neuf et onze, douze ans. Je l’entendais monter l’échelle de meunier de ma mezzanine. Je faisais semblant de dormir ; j’étais incapable de dire non et je m’en voulais. Plus tard, j’ai été violée plusieurs fois. La première fois à 14 ans. Après, c’était terrible pour moi, la sexualité. Forcément, je fais un lien! L’agresseur était un bon père de famille qui avait déjà violé des femmes, mais jamais encore une mineure de moins de 15 ans. Ma mère a étouffé l’affaire. Je n’ai jamais osé lui demander pourquoi.
On est restés dans un non dit total. Comme si ce viol n’avait jamais existé. J’avais 30 ans quand j’en ai parlé à mon père. Il n’a rien fait. Maintenant, au plan juridique, c’est trop tard. Les faits sont prescrits.