Un mois chez les filles

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Un mois chez les filles, documentaire d’Audrey Gordon, tiré du livre de Maryse Choisy écrit en 1928, est diffusé ce dimanche 10 mars à 23 heures sur France 5. Une enquête en immersion dans le « milieu » de la France des années folles. A l’écran, elle est incarnée» par Jeanne Balibar, qui en lit des extraits de sa voix envoutante. A voir.

Durant les années folles, Maryse Choisy, qui se rêve en Albert Londres au féminin, invente le « journalisme d’immersion ». Son patron lui propose de passer « un mois chez les filles», et il publiera son enquête. 

Elle commence par la rue, mais s’enfuit au premier « client », un collégien, « je panique et je saute dans un taxi », écrit-elle. Elle a eu le temps d’observer les « Pauvres filles de la rue qui risquent à tout moment de se faire embarquer par la brigade des mœurs ».

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À l’époque, la prostitution, légale, réglementée, n’empêche pas la police de rafler les femmes. Celles qui ne seraient pas inscrites au registre, sont envoyées à la prison de Saint-Lazare. 

L’autrice cherche alors un emploi de femme de ménage pour pouvoir pénétrer dans une maison close… Le guide rose de 1928 recense alors 200 « maisons » officielles. La plus connue, le « Chabanais », à deux pas du Palais Royal, reçoit la visite hebdomadaire du président du Sénat, le roi Edouard VII y a sa chambre…

Le choc est fort pour la journaliste : « j’ai l’impression de tomber sur la lune ». Partout, des femmes nues ou semi habillées, « chacune incarne un type de fantasme des hommes », en passant par les fantasmes racistes de l’exotisme et de la pédocriminalité. 

Le rite mystérieux du choix 

Très vite, elle constate qu’il y a dans le bordel surtout « des mères abandonnées, des filles seules, des veuves », et ajoute : « leur corps ne leur appartient pas. Il appartient à la maison. Elles vivent cloitrées, offertes à des inconnus qu’elles ne choisissent pas ».  

Elle observe de près les «clients » : c’est elle qui est chargée de leur ouvrir la porte. Et elle assiste à ce qu’elle appelle « le rite mystérieux du choix »...celui des hommes. « Une douzaine de filles nues défilent devant un homme qui les choisit ».

Des « clients », elle constate que « tous les types d’hommes fréquentent ces lieux, flics, cheminots, pères de familles, banquiers, etc. 

Elle s’attache vite aux femmes rencontrées au bordel : « je suis frappée par leur solidarité. Elles partagent tout, leurs clients, leurs nuits, leurs secrets, et souvent leur lit »

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Un mois chez les filles et fermer les bordels

De crainte de s’attacher et de ne plus pouvoir mentir – elle n’a pas dit qu’elle était journaliste, elle quitte les lieux au bout de 15 jours. Elle va alors au « Bal du sporting palace », où sévissent les proxénètes, ces « vendeurs de viande », dont elle décrit le comportement avec la femme qu’il prostitue : « il la surveille, habite avec elle, la cogne souvent, couche avec elle…et il vit à son crochet ». C’est à lui qu’elle appartient. 

Pour finir son enquête, après les bars lesbiens où des femmes dansent devant des hommes qui paient le champagne, elle va dans les « bas-fonds » où elle rencontre des femmes contraintes de rester dans ces « lieux malfamés » om elles n’ont pas le droit de dormir avant « le départ du dernier ivrogne. Elles n’ont pas d’autre choix que de boire pour tenir, dit-elle, ce sont des maisons d’abattage ».

Elle quitte définitivement « le milieu » au bout d’un mois, forte d’une conviction inébranlable : 

« « Aucune légende ne me fera croire qu’il est acceptable de transformer des femmes en machines à plaisir. Je suis désormais convaincue qu’il n’y a qu’une seule façon d’agir, il faut fermer les bordels ».

Ce très beau documentaire est porté par les documents d’archives, les photos, et la voix de Jeanne Balibar qui dit ce texte, témoin exceptionnel de la réalité de la prostitution des années folles…et pas si loin de celle d’aujourd’hui…

A voir sur France 5