Femmes à vendre, le retour de Fantine

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France Culture, le 24 juin 2013 à 17h00 : Sur les docks diffuse un documentaire de Frédérique Pollet Royer intitulé Pelos. En Espagne, en raison de la crise, des femmes sont amenées à vendre leurs pelos, leurs cheveux.

L’auteure est partie à la recherche de ces nouvelles Fantine[[Célèbre personnage des Misérables, de Victor Hugo.]], qui vendit ses cheveux, ses dents puis se vendit tout entière comme prostituée. De l’ère industrielle à nos temps de crise capitaliste, le parallèle est saisissant. Les femmes restent frappées jusque dans leur intimité ; c’est leur corps même qui est mis à contribution. Nous avons demandé à la réalisatrice Frédérique Pollet Royer de nous présenter Pelos.

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Tout est parti d’une brève dans un journal en 2012. Voilà qu’après les Indiennes et les Chinoises, des femmes espagnoles se mettaient à vendre leurs cheveux. J’ai immédiatement pensé à la Fantine de Victor Hugo, couturière à la rue avec un enfant, qui, au 19e siècle, est amenée à vendre des parties d’elle-même et finit par atterrir dans la prostitution. Il m’a semblé que le contexte offrait des parallèles ; agitation politique du temps des Misérables, actuel mouvement des Indignés, écrasé par la police.

Entre les différents témoignages de femmes – femmes migrantes, ouvrière du cheveu, jeune femme qui vend ses cheveux -, le documentaire est donc émaillé d’extraits des Misérables (La misère offre, la société accepte) qui montrent que la fresque hugolienne garde toute son actualité pour ce qui est de la situation sociale et de la condition des femmes.

Je suis donc partie à la rencontre de ces femmes espagnoles qui vendent une couette de deux cents grammes pour leur survie[[Le kilo de cheveux se négocie à 450 euros.]]. Les problématiques se superposent puisque cette histoire de cheveux renvoie aussi à l’image de la femme, construite comme objet sexualisé, surtout dans les pays latins où le cheveu long est une norme archaïque de féminité. Certaines vendent leurs cheveux, d’autres les achètent à prix d’or pour se conformer à un idéal de beauté censé satisfaire les hommes. C’est un cercle vicieux. Et la publicité leur tend un miroir dans lequel elles se cherchent en vain. C’est cette boucle que je questionne.

Le témoignage de Marta est très fort. Martha est prostituée depuis 12 ans. Elle a commencé par vendre ses cheveux. Puis elle a vendu les poils de son pubis à un pseudo artiste qui tondait les femmes comme on tond les moutons avant de faire un tableau de leurs poils. Son témoignage est poignant. Elle a été séquestrée, violée et fait clairement le lien entre violence de genre, domination masculine et prostitution. Elle dénonce ce pouvoir des hommes de se réassurer dans leur virilité, leur misogynie, et parle de la violence de la prostitution. Elle répète que ce ne peut pas être la liberté, encore moins un choix.

Une nicaraguayenne émigrée en Espagne a elle aussi coupé ses cheveux malgré les protestations de son entourage. Elle se révolte : je suis plus que mes cheveux !. C’est après avoir reconquis sa propre identité qu’elle les a laissés repousser, après avoir repris le pouvoir sur le conditionnement que nous subissons toutes.

Par ce prisme du cheveu, je donne la parole aux femmes frappées par la crise. Le
documentaire, d’abord construit autour de la question du corps et des classes sociales, est tout naturellement devenu féministe et abolitionniste.
Il se termine sur l’annonce du lancement du projet Eurovegas à Madrid : une plate-forme mondiale du jeu qui table sur cinq millions de visiteurs par an et qui sera inévitablement un centre de traite internationale des femmes pour la prostitution. Une nouvelle fois, les femmes vont payer la note. Pour tempérer l’enthousiasme de ses promoteurs, je n’ai pu conclure autrement que par la phrase fameuse de Victor Hugo : On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours ; mais il ne pèse plus que sur la femme et il s’appelle prostitution.

Sur les docks, le 24 juin 2013 à 17h00. Voir le site de l’émission pour information et baladodiffusion (podcast).
Pelos est diffusé simultanément la semaine du 24 juin sur la RTBF, en Belgique.