Le livre noir des violences sexuelles

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Muriel Salmona est en colère. Mais sa colère est constructive. Psychiatre et psychothérapeute, chercheuse en psychotraumatologie, elle assiste à un scandale invisible dont elle dit aujourd’hui les ravages dans un livre qui frappe comme une gifle.

Procédant à un inventaire – incestes, viols, harcèlement sexuel, violences conjugales, prostitution, pornographie –, elle affirme que les violences sexuelles font partie des traumatismes les plus graves, au même titre que la torture. Pour elle, il s’agit d’un problème de société et de santé publique majeur mais aussi d’un problème politique dans la mesure où la majorité des victimes sont abandonnées sans soins quand les agresseurs jouissent trop souvent de l’impunité.

Comme l’explique l’auteure, ces violences ont un impact catastrophique sur la vie des victimes – affective, sexuelle, sociale, professionnelle – et peuvent durer des décennies si les troubles ne sont pas traités. Subies dans l’enfance, elles sont encore plus destructrices. Or, en France, les violences sexuelles restent rarement prises en compte dans les symptômes et les maladies présentés par les patientEs. La méconnaissance perdure, quand ce n’est pas le déni, d’autant que la parole des victimes, souvent discordante ou confuse, porte à les mettre en accusation (c’est elles qui ont été faibles, imprudentes, naïves) au lieu de les protéger et de les soigner. Le poids des stéréotypes sexistes et la loi du silence ne font qu’aggraver la situation. Même les médecins et psychiatres, par ignorance des processus psychotraumatiques à l’œuvre, peuvent agir avec cruauté et ajouter l’humiliation à la destruction opérée par l’agresseur.

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Muriel Salmona décrit la tempête psychique que déclenche le stress extrême enduré lors des violences sexuelles. Le modèle clinique et théorique qu’elle a elle-même élaboré lui permet d’en décrypter les étapes. Face à la sidération du psychisme, un mécanisme de sauvegarde se met en route. Le cerveau place la victime dans un état d’anesthésie émotionnelle et physique, une dissociation qui rend étranger à soi-même et aboutit à la mise en place d’une mémoire traumatique : une mémoire non consciente qui couve comme une braise et qu’un événement – une odeur, un geste, un lieu, une sensation – peut rallumer à tout moment. Cette bombe à retardement hante la victime comme un fantôme, toujours prêt à raviver une panique, des douleurs, des sentiments de honte et de culpabilité, et à entretenir la démolition de l’estime de soi. Elle est alors la cause de comportements déroutants, incompréhensibles pour l’entourage comme pour les policiers ou les juges. En proie à une guerre permanente, les victimes développent des stratégies de survie, de l’hypervigilance aux conduites d’évitement. Elles peuvent user de conduites à risques et devenir des cibles pour les prédateurs, face auxquels elles sont dans la confusion, l’impossibilité de se défendre et affichent un pseudo consentement.

Pour nous, le lien avec la dissociation que décrivent beaucoup de personnes prostituées ce n’est pas moi, je n’y suis pas, saute aux yeux, de même que leurs traumatismes, notamment pour construire des relations affectives et sexuelles.

Comment ne pas appuyer Muriel Salmona lorsqu’elle exige que le corps médical intègre la question des violences subies pour ne pas passer à côté d’éventuels troubles psychotraumatiques ? D’autant que des prises en charge psychothérapiques et à médiation corporelle sont efficaces pour amener la personne à se ré-habiter, à réinvestir son corps et ses émotions. Au-delà des victimes elle-mêmes, c’est la société tout entière qui est concernée. Laisser sans soin les victimes, c’est alimenter un cycle de violences sans fin, d’individu à individu, de groupe à groupe, de génération en génération. Il est urgent de les traiter mais aussi de mettre en place une société plus égalitaire et moins sexiste à l’heure où une véritable propagande entretient la confusion entre la violence et l’amour, la sexualité et la prédation, et empoisonne les relations entre les femmes et les hommes.

Ailleurs sur le web

– Le site de l’association de Muriel Salmona, Mémoire traumatique et victimologie.

– À écouter sur Radio Libertaire, Muriel Salmona était l’invitée de l’émission Idéaux et débats, à écouter en ligne mardi 11 juin 2013 à 18h00.