Norvège : la pénalisation des « clients », ça marche!

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La Norvège devrait conserver sa loi pénalisant l’achat d’actes sexuels, entrée en vigueur en 2009. Une évaluation publiée le 11 aoùt 2014, qui conclut à des effets plutôt positifs, semble dissuader la coalition centre droit/populiste au pouvoir depuis 2012 de l’abroger – comme telle était son intention. Mais les opposants, comme l’association Pro Sentret, livrent de leur côté des conclusions alarmantes sur les conséquences de cette loi. Leurs arguments, plus que contestables, repris en boucle jusque dans nos medias, nous ont semblé devoir être regardés de près.

La loi, des effets plutôt positifs

Votée par la majorité de gauche en 2008, la loi sanctionnant l’achat de services sexuels est entrée en vigueur le 11 janvier 2009, sur le modèle de la Suède (1999). Le gouvernement travailliste entendait ainsi réduire la traite à des fins sexuelles.

Un rapport d’évaluation, établi par deux économistes, une sociologue et une politologue, et mené auprès de personnes prostituées, de services de police et d’associations, conclut le 11 aoùt 2014 aux effets positifs de la loi : Ce rapport montre que la loi a clairement contribué à une réduction de la demande et du volume de prostitution en Norvège, ce qui était son but a déclaré Steinar Stroem, un des auteurs de l’étude, professeur à l’Université d’Oslo. Selon le rapport, la prostitution de rue à Oslo aurait diminué de 35% à 60% et le « marché » non visible de 10 à 20 %.

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Le rapport conclut à une réduction de la traite des êtres humains pour la prostitution, le pays étant devenu moins attractif pour les trafiquants et les proxénètes. Rien ne permet de présumer que la loi a eu une influence significative sur le signalement ou non d’actes de violence. Aucun des services de police interviewés n’ont noté que la prostitution était devenue plus « clandestine ».

Les femmes interviewées ont toutefois appelé à une meilleure formation des policiers. Certaines ont indiqué que la loi n’a pas été accompagnée de ressources suffisantes pour les solutions alternatives.

Pro Sentret, une manipulation politico-médiatique

Une association de terrain d’Oslo, Pro Sentret, occupe une place majeure dans la critique de cette loi. Elle publie des « études » destinées à prouver sa dangerosité, quitte à user de méthodes qui frisent l’escroquerie. Qu’importe, la presse reprend leurs résultats…

S’appuyant sur deux études, l’une de 2008, Fair Game, l’autre de 2012, Dangerous Liaisons, Pro Sentret conclut par exemple que la violence contre les personnes prostituées n’aurait fait qu’augmenter. Elle avance le chiffre de 59% de femmes prostituées en ayant subi en 2012 contre 52% en 2008.

Or, la méthodologie des deux enquêtes, présentée comme similaire, n’est pas comparable. Outre le fait que, de l’aveu même de Pro Sentret, les échantillons sont trop limités pour être représentatifs, les périodes analysées ne sont pas de même durée.

L’enquête de 2008 porte sur 33 personnes ayant subi des violences sur un an, et celle de 2012 sur 73 personnes en ayant subi sur 3 ans.

Un autre artifice consiste à amalgamer tous les types de violences, de la griffure au viol. Sont comparées les répartitions des types de violences mais pas la fréquence de ces violences. De plus, en 2012, ont été ajoutées des catégories essentielles non prises en compte en 2008, notamment tentatives de meurtres et usage de projectiles.

Est-il vraiment surprenant d’obtenir des chiffres supérieurs en 2012 ?

Pro Sentret affirme par ailleurs que les personnes prostituées se plaignent d’un nombre de clients en baisse qui permettrait à ces derniers d’imposer davantage leurs conditions. Elle note par ailleurs une baisse du nombre d’alertes (recours aux urgences ou à la police), qu’elle attribue au manque croissant de confiance de ces personnes, ainsi que leur plus grand isolement et leur fragilisation.

Non seulement l’étude n’apporte aucune preuve, aucun fait objectif qui prouve cet isolement croissant. Mais elle élude totalement un fait qui pourrait expliquer le nombre moins élevé des alertes : la diminution probable du nombre des personnes prostituées, pourtant indiquée dans l’enquête Pro Sentret elle-même de 2012.

Le précédent Dodillet – Ostergren

A l’arrivée, aucun élément fiable ne saurait être retenu de cette « étude ». Un seul point peut-être : le fait que les personnes prostituées forment une population exposée à la violence et très vulnérable. On retiendra toutefois les indications de Pro Sentret sur une éventuelle diminution de leur nombre comme de celui des clients même si le manque de rigueur de l’ensemble conduit à la prudence.

« L’étude » de Pro Sentret avait de toute évidence pour but de donner un coup de main au gouvernement conservateur à l’affùt de tout argument en faveur de l’abrogation de la loi de 2009. En France, elle est apparue comme un cadeau inespéré pour les opposants à la proposition de loi qui prévoit la pénalisation des clients prostitueurs. Elle était ainsi brandie en même temps qu’un article signé par une universitaire, Suzanne Dodillet et par la journaliste Petra Ostergren publié en Suède en 2011 et qui concluait que la pénalisation des clients favorise la stigmatisation des travailleuses du sexe.

Or, leur étude présente les effets indésirables de la loi suédoise sous la forme de certains disent que. Les auteures y rappellent que les changements observés peuvent provenir de divers facteurs et non pas uniquement être la conséquences de cette loi… ceci pour les effets positifs. Cette cause multifactorielle est ensuite bien commodément oubliée lorsque sont présentés des effets indésirables de la loi.

Dodillet et Ostergren disent tirer leurs informations de sources telles que documents universitaires, rapports officiels, articles dans les medias, forums Internet, blogs, propos ou livres écrits par des « travailleurs du sexe » sans jamais préciser lesquels. Si on repère partout des distorsions et falsifications des faits, des manipulations de citations, on cherche en vain la rigueur scientifique et la réalité du vécu prostitutionnel.

A lire, la réponse du sociologue suédois Sven-Axel Mansson à la publication et thèse de Suzanne Dodillet, Är sex arbete? (Le Sexe est-il du travail?) : A-t-on le droit de faire cela ? Réflexions sur la crédibilité scientifique après lecture du livre de Susanne Dodillet.