Dans cet ouvrage solidement argumenté et documenté, Claudine Legardinier dévoile les souffrances quotidiennes des personnes prostituées pour mieux dénoncer les motifs qui président, depuis des siècles, à les priver d’identité et de parole
.
Au-delà des gigantesques enjeux financiers et économiques à l’échelle mondiale, l’auteure met en lumière le système prostitueur qui a construit les femme en objets de désir
pour mieux défendre la prostitution et maintenir en place le pouvoir masculin.
La parole des personnes prostituées
Si Claudine Legardinier défend si ardemment la cause des personnes prostituées, c’est parce qu’elle les connaît bien et depuis fort longtemps. En effet, cela fait plus de trente ans que notre chère collaboratrice leur permet, par son écoute bienveillante et empathique, de se livrer sans fard. Lorsque ces personnes font tomber leur masque, elles se libèrent et expriment tant de souffrances accumulées depuis des années.
Celles que la société s’applique à considérer depuis toujours comme des traînées
, des débauchées
sont enfermées dans la honte, la solitude parce qu’elles ont intégré douloureusement l’infamie dont elles sont frappées.
L’auteure n’est donc pas dupe des discours de certaines personnes qui revendiquent avec force leur statut de travailleurs, travailleuses du sexe
, dans les médias en espérant gagner une dignité que la société leur refuse
.
Claudine Legardinier redonne à ces femmes et à ces hommes la réelle place qui leur échoit et dénonce les violences qu’ils subissent quotidiennement : brutalités, viols, humiliations, insultes, meurtres…
. Des personnes qui, comme toutes les victimes d’agressions extrêmement violentes (attentat, guerre…) opèrent une dissociation pour survivre à la réalité : elles subissent la violence des proxénètes comme des clients, mais font le vide pour ne pas la ressentir. Pour ces personnes victimes de stress post-traumatiques, les conséquences sont dévastatrices sur le plan physique, psychique et social. La destruction prostitutionnelle est… incolore et inodore. Invisible et non identifiée
, conclut l’auteure qui rend un vibrant hommage aux survivantes
de la prostitution, sorties de la honte et du silence, pour devenir des actrices de changement fières et fortes
.
La violence du système prostitueur
Claudine Legardinier démontre de façon magistrale les raisons pour lesquelles tout le système prostitueur construit les femmes en objets de désir, pas en sujets de parole
.
Les clients se réfugient dans leurs fantasmes de putains
dotées d’une sexualité agressive et insatiable
, pour assouvir leurs pulsions sexuelles
. Au nom des billets qu’ils déposent après la passe, les clients s’arrogent tous les droits, y compris celui de frapper, de détruire, contraignant les personnes prostituées au silence, au nom d’un consentement présumé
.
Que ce soit dans la rue ou dans les bordels, elles sont en danger.
L’auteure ne manque d’ailleurs pas de citer des extraits d’un dépliant rédigé par une association qui défend le métier
et qui dresse le constat le plus cru de la violence des clients prostitueurs
: Soyez toujours en état d’alerte : les stylos, sifflets stridents, bombes lacrymogènes peuvent être de bonnes armes
.
Comme l’a révélé le récent procès du Carlton, les communautés d’hommes – milieu d’affaires, personnalités politiques, armée, monde sportif- paient les personnes prostituées pour se défouler mais aussi pour asseoir leur prestige et leur entre soi
.
Les clients alimentent financièrement les caisses des réseaux, des proxénètes et des tenanciers qui profitent largement de ce marché juteux. Sur notre territoire, les proxénètes recrutent parmi les cabossées de la vie, souligne Claudine Legardinier pour mieux les manipuler et les enfermer.
Malgré cette réalité, la société persiste à perpétuer l’idée selon laquelle la prostitution serait un mal nécessaire
, une nécessité sociale
, notamment pour prévenir les viols et autres agressions. Un mythe battu en brèche avec force par l’auteure qui signale que, loin d’empêcher toute agression ou harcèlement, la prostitution au contraire, y invite
.
Libéralisation du marché de la prostitution
Conflits armés, pauvreté, analphabétisme, maltraitances, camps de réfugiés, minorités ethniques…
. Partout dans le monde, les femmes les plus fragiles et les moins qualifiés alimentent l’industrie du sexe, l’industrie du crime
qui ne cesse de prospérer.
En effet, pour mieux servir les intérêts des proxénètes comme des Etats, le capitalisme libéral
a transformé la prostitution en activité épanouissante, en a fait un emblème d’émancipation
.
L’auteure en dénonce avec vigueur les dérives. Si le « métier » de prostitué est légalisé, il peut être même revendiqué. Ainsi, des personnes handicapées réclament actuellement le droit à des services d’accompagnement sexuel
ce qui implique, à terme, d’avoir recours en priorité à des femmes en situation précaire
.
Une partie de nos voisins européens ont choisi de banaliser l’achat d’êtres humains, au nom du pragmatisme et de la modernité, et faire de la prostitution un « métier comme un autre » où des managers du sexe
emploient des sex workers
. Ainsi, des chaînes de bordels allemands proposent les femmes en forfaits illimités : repas, boisson et viol légal pour 70 euros
, décrit Claudine Legardinier.
Le système prostitueur est révélateur des inégalités des femmes et des hommes
Faut-il s’habituer à ce que le commerce des sexes soit l’une des activités les plus rentables avec la vente d’armes et le trafic de drogues
, interroge l’auteure qui, comme tous les abolitionnistes, est contre l’exploitation capitaliste et mondialisée des industries du sexe
. Pour notre collaboratrice, la priorité va aux personnes prostituées, qu’il s’agit de sortir de l’abandon comme de la répression séculaire auxquels la société les condamne
.
Portée par l’utilité de son combat, Claudine Legardinier a su, dans cet ouvrage remarquable, nous emporter par sa force de conviction.
Prostitution, une guerre contre les femmes / Le sommaire
- 1) La parole interdite
Sous la tolérance, une condamnation impitoyable
Déni de justice, des « déviantes » exclues du Droit
Parole invalidée, violences déqualifiées
Viols non reconnus
Coupables, forcément coupables
Solidarité, impunité… au masculin
- 2) Une entreprise de démolition
Un espace concédé à la violence
Un quotidien à haut risque
Un acteur clé mais invisible
Des tenanciers sans états d’âme
Un goùt de mort
Une destruction incolore et inodore
Une bombe à retardement
- 3) La double peine
Damnées de la terre : un vivier sans fond
Des accidentées de la vie
Formatées par leurs agresseurs
Proies de l’archaïsme culturel, des conflits et de l’acculturation
Métiers peu qualifiés, une armée de réserve
Trafiquées et corvéables à merci
Otages du mal développement
Un recrutement orchestré au millimètre
Emprise et manipulation
- 4) La défaite de toutes les femmes
La haine des femmes et du féminin
Un emblème de l’ordre ancien
Une ouverture de droit au harcèlement sexuel et aux violences
Tout ça c’est la faute des femmes
Les nouveaux habits du « devoir conjugal »
Un recul pour le droit du travail
Une dévalorisation du travail féminin
Un invisible plafond de verre
Un conservatoire des stéréotypes
Femmes au service, éternelles secondes
Expropriées de leur sexualité
Objets de clichés racistes et colonialistes
Prostituées, non prostituées, femmes sous contrôle
La grande revanche
Un préjudice social généralisé
2e partie – A qui profite le crime ?
- 5) Des outils à confirmer la virilité
Une pratique culturelle, un entre soi masculin
Armées : misogynes en temps de paix comme en temps de guerre
Sport, business et politique ; grands secrets et petits arrangements
Faire le mur : le lieu du lâchage et de l’indifférence morale
Tourisme : les nouveaux colons
Génération consommateurs
- 6) Bordels au service des pouvoirs : une affaire d’Etat
Le bordel, pilier de l’ordre établi
La grande fraternité proxénète
Les « harems de l’Occident »
Une ségrégation sexiste et raciale
Déni et révisionnisme, le silence toujours
- 7) Un moteur pour la machine capitaliste
Un secteur de plus en plus prospère
Business proxénète, le temps des reconversions
Une rente pour les exploiteurs, des taxes pour les Etats
Medias, immobilier, proxénètes tous azimuts
L’argent de l’ombre
Prostituées : un monde d’endettement
3e partie – Une propagande acharnée
- 8) Bouillon de culture
Un « droit sexuel » au masculin
Une assignation subliminale, Zahia modèle d’émancipation pour les filles
Le bordel, une passion française
Apologie du « sex worker »
Proxénètes en prime time
Intellectuels, artistes… La grande promo des souteneurs
- 9) La machine de guerre libérale proxénète
La contagion internationale
Le concours des grandes institutions
Le mythe des « organisations de prostituées »
Le sida instrumentalisé
La liberté, un sésame pour la contrainte
Un laissez passer pour clients et proxénètes
La guerre des arguments
Vendre son sexe comme un mac do
Justifier le moins pire au nom du pire
Des victimes de plus en plus « consentantes »
Europe réglementariste, le dépôt de bilan
Un bonus pour les maquereaux
Un malus pour les personnes prostituées
Un accélérateur pour la traite des femmes et des mineurEs
Une affaire en or pour les clients
Un pouvoir proxénète en plein essor en Europe
La solution introuvable
Faire du neuf avec du vieux
- 10) Un horizon, l’abolition
L’abolitionnisme, un tournant de civilisation
Une étape dans la longue marche des femmes
Un mouvement qui va changer le monde
Un programme ancré dans la réalité
Un plan Marshall pour les personnes prostituées
Une politique de lutte contre le proxénétisme
Une trilogie gagnante : formation, éducation, prévention
Un interdit clair pour les clients prostitueurs
Le modèle nordique, une voie de changement
Utopie d’aujourd’hui, réalité de demain