Traduction d’un grand classique des sciences sociales et du féminisme, ce livre est adapté de conférences données dans les années 70 et 80 par John Stoltenberg, essayiste américain, militant en faveur du féminisme et compagnon d’Andrea Dworkin, écrivaine et survivante de la prostitution. Il y dénonce l’injustice et la violence du système patriarcal envers les femmes.
D’emblée, il faut dire que ce ne sont pas les hommes que John Stoltenberg cible dans son ouvrage, mais bien le système qui les amène à devenir hommes d’une certaine manière et pas d’une autre. Qui que l’on soit, les vérités de l’ouvrage nous ramènent forcément à nos tabous intimes. Chacun le sait inconsciemment, dit Stoltenberg, on nous impose une identité féminine ou masculine unique, qui ne représente en rien la diversité de nos qualités et de nos personnalités, et qui piétine notre propre subjectivité. Ces catégories de sexe, elles sont construites comme les classes sociales ou ethniques. Elles ont une origine et un but politique : assujettir l’autre, se garder le privilège du pouvoir sous le prétexte de se protéger.
Que signifie : « accepter d’être un homme » ? Stoltenberg répond aussi froidement que la réalité peut l’être. Pour ressentir que l’on est un homme et prouver sa masculinité, selon le code patriarcal, il faut impressionner, faire peur, montrer son indifférence, son sadisme. Pour y arriver, une seule solution : nier l’humanité de l’autre, rendre la personne en face irréelle, la transformer en chose, érotiser l’agressivité pour en faire un aphrodisiaque. Et il faut un terrain qui facilite la tâche : la sexualité, par exemple. Seul, en tête-à-tête avec les victimes désignées par le système – c’est-à-dire les femmes –, la tâche est plus facile.
La pornographie habitue à l’exercice. On y rend « sexy » la soumission. L’écrasement de l’autre est une victoire qui donne droit à un statut supérieur, être un vrai homme. À l’inverse, l’écrasement de soi signe l’entrée dans le destin féminin.
Et lorsque la manœuvre ne fonctionne pas, que la résistance, celle des femmes et celle du contexte, ne permet pas de se sentir, de se prouver homme ? Alors, on utilise les grands moyens, prévient l’auteur. On achète, on frappe, on humilie, on viole, on tue, toujours la cible désignée par le système. Peu importe, selon le code, ne pas réussir à prouver que l’on est un homme serait plus grave que d’effacer l’humanité des autres. C’est ça, le génocide
: le meurtre symbolique ou physique des femmes. Mais c’est un meurtre dont on ne parle pas, d’autant qu’il y a peu de traces visibles.
C’est un meurtre et c’est un destin, que l’on est contraint d’accepter. Qu’arrive-t-il aux humains avec pénis
qui refusent leur destin ? Ils sont isolés, et intégrés à la catégorie cible. La femmelette
, c’est le traître qui prouve le mensonge de la naturalité du sexe, et qui fait donc s’écrouler l’alibi de l’oppression.
Ce système est-il une fatalité ? Non, assure Stoltenberg. Il suggère de réformer les catégories de sexe sans forcement les quitter, en y intégrant une plus grande subjectivité individuelle, tout en sachant avoir un pied dehors. Refuser d’être un homme, c’est refuser le meurtre, c’est opter pour la justice sexuelle
, faire preuve de respect et de réciprocité.
Stoltenberg va t-il trop loin? Bien sùr, il faut avoir en tête que chacun est masculin ou féminin (ou autre) à sa propre manière. Mais chacun est encore fermement appelé à se définir par rapport à ces catégories. Et qui peut dire qu’il n’a jamais été confronté, au moins une fois dans sa vie, aux logiques que l’auteur dénonce ?