La France va-t-elle compter prochainement des services « d’accompagnement sexuel » spécifiques pour les personnes handicapées? Le colloque international organisé en avril au Parlement de Strasbourg s’est clairement tenu dans ce but.
Le colloque, à l’initiative de l’AFM (Association française contre les myopathies), de l’ APF (Association des paralysés de France), de la CHA (Coordination handicap et autonomie) et de Handicap International, intitulé Dépendance physique : intimité et sexualité , a vu se succéder divers intervenants pour revendiquer la création d’un « système d’accompagnement érotique et sexuel » sur le modèle de pays comme le Danemark, l’Allemagne, la Suisse ou les Pays-Bas.
Aux Pays-Bas, où – rappelons-le – la prostitution est légale, existent des services de ce type, facturés entre 85 et 100 € l’heure et remboursés par les assurances sociales de certaines collectivités locales.
Former au « service sexuel »
Certes, les associations de personnes handicapées n’ont pas encore décidé d’une position officielle sur cette question. Mais les différentes interventions, que ce soit des représentants de ces associations ou d’établissements d’accueil, ont mis en relief l’idée que le « service sexuel » est une nécessité et que la loi française est un frein en raison de l’assimilation à la prostitution et au proxénétisme.
Un avocat parisien, Karim Felissi, suggère d’instaurer un régime pénal dérogatoire et de créer une profession dùment formée. Quant à Marcel Nuss, président de la CHA, il promet un débat dans le cadre d’une prochaine « conférence du consensus » puis la concrétisation du projet dans les deux ans.
Assouvir des « besoins » pour se donner bonne conscience?
Si aucun débat contradictoire n’a été possible, un léger malaise a enveloppé la journée. Qu’une assistante de vie exprime sa gêne face à une demande de « massages » plus poussés lors d’une toilette n’est pas seulement dù, on s’en doute, à sa crainte de se voir accuser de prostitution. C’est aussi un profond refus personnel. Il semble qu’à l’étranger l’idée de former des travailleurs sociaux (surtout des travailleuses sociales …) spécialisés dans le « service érotique et sexuel » ait souvent débouché sur le recrutement de personnes prostituées. Quant aux « besoins sexuels » ils ont une nouvelle fois été surtout déclinés au masculin …
Si l’on peut se féliciter que la question de la sexualité des personnes handicapées, profondément taboue, soit enfin abordée, il n’est pas acceptable de la liquider en proposant la prostitution pour toute réponse. Oui, il faut travailler à ce que les handicapés aient une vie affective et sexuelle et voient respecté leur droit à la vie privée. Oui, il faut prendre en compte leur détresse. Oui, il est temps d’interroger le formatage social draconien qui lie sexualité et beauté et qui force à la performance pornographique.
Mais va t-on réellement « sauver » la sexualité des personnes handicapées en détruisant celle des personnes prostituées ? Qu’en est-il de la dimension relationnelle, amoureuse, du véritable respect de l’autre auxquels aspirent les handicapés? Et la frustration affective, et la solitude ? Où est le respect lorsqu’on leur propose de rémunérer quelqu’un pour les caresser?
Du sexe remboursé par la Sécu
Ne faut-il pas voir là, avant tout, le signe d’une immense culpabilité vis-à-vis de personnes dont les besoins ont toujours été négligés, que l’on n’a jamais considéré à égalité ? Ainsi, les handicapés ne pourraient toujours pas monter dans un bus, mais on leur rembourserait l’accès à des personnes prostituées, sans jamais se demander quelles détresses ont bien pu pousser ces dernières à accepter ce que personne n’accepte.
Promouvoir les droits des personnes handicapées au mépris de ceux des personnes condamnées à être prostituées est indigne.
Tant que continuera le profond déni social sur la violence que constitue la prostitution, des « solutions » de ce type se succèderont. Et on aura fait un pas supplémentaire vers la légitimation et la professionnalisation de la prostitution. L’industrie du sexe peut se frotter les mains. Ses plus sùrs alliés vont se compter du côté de ceux qui défendent les plus démunis.
On peut s’attendre à ce que les personnes hospitalisées, âgées ou en prison, au nom du droit à la non-discrimination, réclament bientôt le même « droit ». Est-on prêt à s’engager sur cette voie? Le Mouvement du Nid juge urgent d’entamer une réflexion de fond sur ce sujet.