L’essentiel de son travail ces trente dernières années, nous dit Mackinnon, lui a été enseigné par les personnes prostituées. Ce présent livre, issu d’un discours prononcé une première fois le 5 janvier 2005 en Inde, s’appuie aussi sur une recherche universitaire soutenue. Nous le recommandons chaleureusement tant il offre de multiples pistes de réflexion pour approfondir la thématique de l’abolition.
Catharine A. Mackinnon est une des grandes figures du féminisme américain. Docteure en droit et en sciences politiques, avocate à la Cour Suprême, auteure de nombreux livres, théoricienne, militante, elle est à tous ces titres engagée dans le combat pour les droits humains et l’égalité des sexes. Par ses analyses et son action, ses plaidoiries et sa participation à l’élaboration des lois, Catharine A. Mackinnon a fortement fait évoluer le droit de ces trente dernières années, obtenant la reconnaissance en 1986 par la Cour Suprême des Etats-Unis du harcèlement sexuel comme discrimination de sexe, puis de la pornographie et de la prostitution comme violences contre les femmes.
Ce livre, Traite, prostitution, inégalité, est issu d’un discours qui a été prononcé une première fois le 5 janvier 2005 en Inde. L’essentiel de son travail, nous dit Mackinnon, lui a été enseigné par les personnes prostituées. Elle s’attache cependant toujours à une recherche universitaire assidue et a travaillé avec de nombreux spécialistes. Il en ressort un texte très documenté et étayé qui peut donner de multiples pistes de réflexion pour chacun d’entre nous pour approfondir la thématique de l’abolition, en s’appuyant sur l’exemple de différents pays.
Son travail s’oriente sur une définition de la prostitution et des conséquences politiques et juridiques qui en découlent. Elle commence par évoquer le clivage qui existe entre le consensus sur la condamnation par tous les États de la traite des êtres humains et la vision de la prostitution qui est perçue par certains comme une liberté sexuelle
et par d’autres comme son ultime déni
. Un constat est pourtant partagé par tous : Partout les personnes prostituées sont singulièrement pauvres
et presque personne ne sort de la pauvreté par la prostitution
. Elle explique que les personnes prostituées font partie des groupes les plus défavorisés et discriminés : que ce soit en Inde où les prostituées appartiennent aux castes les plus basses, au Canada, où les femmes autochtones sont sur-représentées dans la prostitution, comme en France le sont les femmes étrangères… Et c’est en cela que le choix d’entrer dans la prostitution ne peut être soutenu car personne ne choisit de naître pauvre (ou) dans une communauté raciale ou une caste
.
Poursuivant sa démonstration visant à démontrer la difficulté d’établir un choix dans la prostitution elle constate autre aspect universel
de la prostitution : une grande majorité est prostituée avant sa majorité et/ou a subi une violence durant son enfance. En Inde, explique t-elle, la plupart des filles rencontrées sont exploitées dès l’âge de dix ans. Si personne ne pouvait entrer dans le commerce du sexe lorsqu’enfant, si les mauvais traitements endurés par toutes ces personnes-là étaient rétroactivement réparés, l’industrie du sexe se dépeuplerai en une nuit
.
L’idée qu’elle défend s’illustre en une formule : la femme est prostituée quand le destin l’a vaincue
, autrement dit lorsque des facteurs trop nombreux l’ont entrainée dans une dévalorisation profonde d’elle-même et que la société autour d’elle l’enferme dans cette dévalorisation – alors le choix n’est plus qu’un leurre.
Une autre idée majeure de son ouvrage est de tourner la criminalisation de la prostitution vers les vrais
criminels. Ceux qui exploitent et ceux qui achètent les femmes et les hommes prostituées. Il faut détruire la demande car elle est la raison d’être de cette industrie
.
Les arguments avancés par Catharine A. Mackinnon ne sont pas sans rappeler la proposition de loi déposée au Sénat, en France, et nous conforte dans le vital déplacement de la sanction de la personne prostituée vers le prostitueur.
Éliminer la criminalisation de la personne prostituée élève son statut, criminaliser le prostituteur réduit ses privilèges
.
Elle invoque aussi, le nécessaire travail de vocabulaire en préférant aux expressions « clients », « acheteurs », trop générales et complaisantes, le terme de « prostitueur » comme dans les pays francophones car il pointe plus précisément l’acte commis, sans le dissimuler derrière un terme générique qui correspond aussi à celui qui va s’acheter un objet quelconque dans un magasin.
Et quand cette imminente juriste s’interroge : « mais suis-je la seule à penser comme ça ou suis-je désespérément naïve dans un monde d’inégalité des sexes? », elle trouve un argument dans la loi namibienne qui définit de manière lucide la prostitution : des actes sexuels pour une rétribution qui n’est pas sexuelle
. C’est tellement simple : la rétribution du sexe, c’est le sexe. Quand le sexe est réciproque, il est sa propre récompense
. Voilà une démonstration étonnante et percutante qui nous appelle à continuer à lutter en faveur de l’abolition de la prostitution.