Alors qu’un nombre croissant d’enfants et d’adolescents migrants (un tiers des arrivées par mer) se retrouvent seuls en Europe de l’Ouest, Unicef France publie en juin 2016 un rapport qui souligne le danger permanent auquel ils et elles sont exposés : viols, prostitution, traite des êtres humains, travail forcé! Ces filles et garçons concentrent toutes les vulnérabilités, aggravées par le manque de réactivité des acteurs publics, à mille lieues de la sécurité, de la protection et de l’avenir auxquels ils et elles ont droit.
L’image emblématique de canots pneumatiques surchargés ou naufragés a fini par occulter la multitude des autres expériences traumatiques vécues par les migrant.e.s. En s’intéressant aux mineurEs, le rapport que publie Unicef France en 2016 en fournit un concentré insoutenable.
En mars 2016, 500 mineurs non accompagnés
(MNA) se seraient trouvés répartis sur 7 sites du nord de la France-[Calais, Grande-Synthe, Angres, Norrent Fontes, Steenvoorde, Tatinghem, Cherbourg.]], dont la fameuse « jungle » de Calais[[Leur nombre sur l’année peut être trois fois plus élevé.]]. Ils sont 2.000 à y passer chaque année. En général, ces jeunes et leurs familles ont déboursé entre 2.700 et 10.000 € pour le passage ; certains y sont parvenus en 15 jours, d’autres ont mis jusqu’à sept mois pour trouver à l’arrivée des bidonvilles, une scolarisation quasi inexistante, des pathologies infectieuses, des comportements dépressifs, le tout sur fond de violence, qu’elle soit liée aux rixes ou aux opérations policières.
Un fil rouge s’impose durant le parcours comme à l’arrivée ; celui des violences sexuelles, une menace continue pour les mineurEs concernés. Pour les filles, le viol semble constituer un aspect quasi obligé du voyage, voyage qui peut durer plusieurs années pour les plus pauvres, les risques étant démultipliés.
Dans les camps, la survie s’organise autour d’une économie informelle impitoyable. Car tout se paye dans un système fondé sur l’exploitation des plus faibles. Un droit d’entrée de 500 € existe dans certains camps et le montant du passage en Grande Bretagne peut s’élever à 5.000, voire 7.000 €.
Si les garçons sont une majorité (Afghans, Egyptiens, Kurdes d’Irak et d’Iran, Vietnamiens, etc.), les filles sont là en nombre, surtout des Erythréennes et des Ethiopiennes qui fuient les conflits, la pauvreté mais aussi les mariages forcés.
Toutes les filles sont en danger de prostitution
Pour les garçons, l’agression sexuelle est une menace permanente (les jeunes afghans disent leur peur du viol) et la prostitution masculine est un fait avéré. Mais en la matière, les cibles féminines sont particulièrement prisées : Toutes les filles reçoivent des propositions pour se prostituer
, explique une femme à l’Unicef. Une Ethiopienne et deux jeunes Soudanaises racontent que des femmes proposent leurs services
le soir, dans les bars de la « jungle » de Calais. Avec l’argent des passes, elles espèrent payer leur entrée dans certains sites ou leur passage en Grande-Bretagne.
Pour l’Unicef, il existerait à la fois une prostitution résignée
et une prostitution organisée par des réseaux de traite. Il semblerait par exemple que des femmes africaines soient amenées chaque semaine à Paris, dans les quartiers de Stalingrad et de la Chapelle, en voiture. Elles auraient parlé d’hommes albanais qui les contraindraient à la prostitution : un fait plausible quand on sait qu’en 2015, une filière albanaise mêlant trafic de migrants et proxénétisme a déjà été démantelée à Calais.
Quant aux jeunes filles résignées
, elles iraient, comme certaines jeunes kurdes irakiennes, jusqu’à subir la prostitution auprès des passeurs et de leurs acolytes pour des sommes tournant autour de 5 €.
D’autres partiraient en Espagne dans l’espoir d’obtenir un faux passeport leur permettant de prendre à Madrid un vol pour Londres. L’existence dans ce pays de nombreux bordels légaux où n’importe quelle femme peut entrer à condition de payer un droit d’entrée, sans vérification aucune, inquiète les enquêteurs de l’Unicef. Depuis la fin février 2016, les intervenants du Centre Jules Ferry de Calais qui accueille certains de ces jeunes, se posent des questions en constatant le départ de nombreuses jeunes filles pour Paris, la Belgique ou l’Allemagne.
Face aux difficultés croissantes pour passer au Royaume Uni, les associations présentes craignent qu’elles soient de plus en plus nombreuses à se tourner vers la prostitution pour y parvenir plus rapidement.
Des mesures à prendre urgemment
Dans les différents camps, les conditions de vie sont dramatiques. Les sites d’hébergement pour jeunes sont saturés et le manque de coordination des acteurs publics et associatifs ne fait qu’aggraver leur mise en danger. La protection des mineurs est pourtant une obligation pour la France qui a signé un beau texte, la Convention relative aux Droits de l’Enfant.
Unicef France, avec Unicef Royaume-Uni et les ONG travaillant sur le terrain, avance donc des recommandations pour que l’hiver 2016 n’impose pas à ces jeunes les conditions terrifiantes qui ont été les leurs lors de l’hiver 2015. La première est la création, sur les sites concernés, d’un lieu de protection sécurisé et spécifique aux mineurs non accompagnés, dans la perspective d’un accès au droit commun. C’est aussi la formation des personnels accueillants et des forces de l’ordre à la protection de l’enfance, et le rappel du cadre légal afin que soient utilisées les procédures telles que les signalements aux parquets et les informations préoccupantes
aux conseils départementaux. Enfin, c’est la mise en place de procédures d’accès à la réunification familiale avec une assistance juridique de qualité.
Un programme colossal! En attendant, il faut saluer les initiatives associatives et les bénévoles qui tentent, en retroussant leurs manches, de colmater jour après jour les brèches les plus criantes.
[Ni sains, ni saufs, une enquête sociologique sur les enfants non accompagnés sur le littoral du Nord et de la Manche.