Adriana : Je suis contente parce que je suis vivante.

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Je suis arrivée en France en 1997. J’avais 16 ans. Avant, je vivais chez mes parents, en Albanie, à Tirana. J’étudiais l’anglais dans une école professionnelle. À 14 ans, j’étais d’ailleurs allée passer un an en Angleterre. À 16 ans, j’ai rencontré un jeune homme.

L’Albanie s’était un peu ouverte, mais malgré tout je ne pouvais pas parler de cette relation à mes parents. Tout ce qu’ils voulaient, c’était que j’étudie. Alors, je suis partie de chez moi. Je ne connaissais rien du tout, mais j’étais amoureuse.

Je l’avais rencontré dans les jardins de l’école, il disait qu’il avait 25 ans, qu’il vivait grâce à ses parents qui avaient un magasin. Il m’a donné un nom mais je ne sais pas s’il était vrai.

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Il m’a fait faire un passeport. Comme je n’avais que 16 ans, il a fait mettre comme date de naissance 1977 au lieu de 1981.

Je le connaissais depuis quatre mois quand nous avons pris le bateau. C’était un voyage clandestin. C’était la nuit, au mois d’octobre, la mer était agitée et j’avais un peu peur. C’était un bateau assez gros, avec des familles, des enfants. Nous avons accosté à Bari dans le sud de l’Italie. Nous avons continué par le train, en passant par Milan. À Vintimille, il n’y avait même pas de douane, je n’ai pas eu à sortir mon passeport. Avec lui, j’étais bien parce que j’étais amoureuse, mais je n’étais pas tranquille d’avoir quitté mes parents.

À Paris, on a pris une chambre d’hôtel. Il avait toujours été gentil, je lui faisais confiance. Et puis, alors qu’on se baladait dans Paris, il m’a montré une fille sur un boulevard, près du Parc Monceau ; une jeune Africaine. Il m’a dit : tu vas faire comme elle.

Je n’ai pas compris.

Franchement, je lui ai demandé si elle attendait le bus ! Alors il m’a expliqué. Il m’a raconté qu’on achèterait une belle maison, qu’on aurait des enfants. J’ai réagi. Je lui ai dit que je n’avais pas besoin d’argent, que c’était pour lui que j’étais venue là, pas pour l’argent. En plus, je venais d’une famille assez aisée.

Je lui ai demandé de me ramener. Là, il a commencé les menaces. Il m’a dit qu’il arriverait quelque chose à ma petite sœur. C’était une idée insupportable.

Alors j’ai commencé à travailler. Il m’avait écrit les prix sur un bout de papier. C’était cinq cents francs à l’époque. J’étais obligée de rester toutes les nuits sur le trottoir jusqu’à 5h du matin. Il me surveillait sans arrêt, il tournait en taxi.

En me disant bien de ne pas le balancer aux flics, sinon ma petite sœur paierait. Je vivais dans une espèce d’état second, toujours fatiguée, avec un mal de tête perpétuel.

J’appelais mes parents, je leur mentais ; je m’étais inventé une vie normale à leur raconter, je disais que je vivais avec une copine. Ils étaient très inquiets et me demandaient de rentrer. Pour moi, c’était dur, d’autant que ma mère a été hospitalisée. En tout cas je n’ai jamais dit que j’étais avec cet homme.

J’avais trop honte.

Toute cette histoire a duré trois ans. Mon proxénète m’avait fait demander l’asile politique. Il m’avait conseillé de dire que j’étais menacée dans mon pays. Je tremblais devant lui. Il mesurait au moins 1,90 m et il frappait à coups de ceinture. J’avais donc eu des papiers pour trois mois, puis plus rien.

Au bout de trois ans, je n’en pouvais tellement plus, je suis partie. Depuis le temps que je rêvais de m’enfuir ! J’étais maigre. Sans papiers. Il n’y a que les chiens qui puissent vivre une vie pareille.

Je suis allée habiter dans un hôtel très éloigné. J’étais toujours sur le trottoir, évidemment. Comment vivre ?

Là, j’ai tout connu. Les menottes, les PV. J’ai été volée, agressée. Avec les clients, on ne sait jamais. Qu’ils soient jeunes ou âgés, qu’ils vous parlent gentiment ou pas, ils peuvent toujours vous agresser. Il y a des clients à qui j’ai raconté mon histoire mais je n’avais pas confiance. J’ai mis beaucoup de temps d’ailleurs à pouvoir faire confiance à l’homme avec qui je vis aujourd’hui.

J’aurais pu trouver un client et me faire épouser. Mais je ne voulais pas. Je ne voulais pas mentir. Les clients, au bout du compte, ce n’est pas à eux que j’en veux. Après tout ils ne savent pas si on est mineure ou majeure ou si on est forcée. Ce n’est pas leur faute. C’est celle de l’homme qui m’a trompée. Lui, quand je me suis enfuie, il a laissé tomber. Je ne l’ai jamais revu.

Heureusement, j’ai aussi rencontré quelqu’un. Dans la rue, il y a aussi des gens qui vous parlent, qui viennent vous voir quand vous avez froid, quand vous pleurez. Ce n’était pas un client. Ce jeune homme, je lui ai tout raconté.

J’ai commencé à m’éloigner du trottoir, à travailler au noir, à faire la plonge, pour à peu près cinq mille francs par mois. J’ai aussi gardé des enfants. Mon ami travaillait.

Maintenant, je suis heureuse et fière. Surtout, je suis contente parce que je suis vivante. Je dors la nuit, je rencontre des gens, je fais la cuisine et je mange comme je n’ai jamais mangé de ma vie. L’année dernière, ma mère est venue à Paris. Je ne l’ai pas tout de suite reconnue tellement elle avait vieilli. Elle qui avait été danseuse…

J’ai obtenu une APS de 6 mois et je viens de trouver un travail de vendeuse. J’ai besoin d’un papier qui prouve que je suis suivie par la Mission locale et en recherche d’emploi. Mon rêve, c’est de faire un vrai stage de vente avec des cours de français et un vrai projet professionnel. Mais ce n’est pas possible avec des papiers provisoires. Il faut que je continue les démarches auprès de la Préfecture.

Maintenant, je ne veux surtout pas rencontrer les autres Albanaises, je préfère rester seule. Je ne veux pas non plus entendre parler d’un retour en Albanie. Pour faire quoi ? La seule chose que j’aie à y faire, c’est aller voir mes parents.