Didier Jaffiol, Protection Judiciaire de la Jeunesse de Marseille

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Il faut trois volets essentiels : une prise en charge des personnes, une politique d’éducation et de prévention, une vraie lutte contre le proxénétisme.

En quoi consiste votre travail ?

Pendant dix ans, en tant qu’éducateur de la PJJ, j’ai effectué des tournées de nuit sur les trottoirs de Marseille avec l’Association ARS et les policiers de l’Unité de prévention urbaine.

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Ces tournées ont été supprimées en 2006 et nous n’avons plus de travail opérationnel de terrain. Nous étions pourtant en pointe dans ce domaine.

Nous avons affaire à un public difficile : il faut établir des liens avec les jeunes concernées, procéder aux signalements et mener un travail éducatif. Lier l’humain, la prévention et le judiciaire. Nous étions bien perçus par les jeunes filles. Elles savaient que nous les écoutions et qu’en même temps nous étions en lien avec le Parquet et la Brigade du proxénétisme.

Aujourd’hui, nous sommes dans l’attente d’une nouvelle convention. Nous gardons heureusement un bon réseau de partenaires : Amicale du Nid, Police, Parquet, associations diverses travaillant sur la problématique des jeunes en danger, ALC qui fournit des structures d’accueil.

Pourquoi ce dispositif a-t-il été supprimé ?

L’existence de ce dispositif tient malheureusement à des questions de volonté personnelle. Tout le monde se félicitait de son existence et il y a dix ans, il était question de l’étendre à d’autres villes. Et voilà qu’il disparaît.

Il reste un service de prévention. Ce qui manque, c’est une réelle concertation entre les différents pôles : éducation, prévention, santé, justice, répression. Certains soirs, la même jeune fille peut voir quatre structures différentes : des associations comme l’Amicale du Nid et Autres Regards, la Brigade de Répression du Proxénétisme, la Police. Et la semaine d’après, personne. Le manque de coordination est flagrant.

Il faut une volonté politique. Quand on aura compris que tourner pour cette population, c’est éviter des problèmes à long terme, faire des économies, éviter des placements plus tard, tout ira mieux. Malheureusement, on ne peut pas quantifier la prévention. La prévention ne permet pas d’éliminer le problème mais elle crée un tissu social autour de populations à l’abandon. Il est essentiel de ne pas laisser se développer des zones underground. Ces personnes ont droit à la santé, au respect et à ce que l’on entende leur parole.

Qui sont les jeunes filles que vous rencontrez ?

Nous avons assisté à une arrivée massive de jeunes filles de l’Est : des Bulgares, des Roumaines qui ont souvent autour de 18 ans. Certaines sont mineures. On est passé de réseaux structurés à de petits groupes plus informels où les jeunes filles sont « cooptées ». Elles font des allers-retours avec des visas de tourisme.

Elles savent plus ou moins ce qui les attend en France mais pas dans quelles conditions réelles. Il y a toujours tromperie, trahison. Aujourd’hui, elles sont une quarantaine sur Marseille. Elles sont étiquetées comme des moins que rien et sont victimes de violences considérables. Des types se mettent à deux dans le coffre d’une voiture pour étrangler la fille que fait monter le chauffeur et la dévaliser. Elles font de moins en moins confiance aux institutions, police et justice.

La loi Sarkozy a augmenté le sentiment de crainte. Il faut un énorme travail de mise en confiance. Elles auraient besoin de services où elles puissent être entendues et pas seulement si elles sont victimes des réseaux. Sur ce point, la Brigade de répression du proxénétisme est efficace. Mais elles devraient avoir droit à un vrai accueil dans les commissariats pour les agressions et les viols qu’elles subissent.

Y-a-t-il beaucoup de mineures ?

Très souvent, les jeunes filles ont de faux papiers pour faire croire qu’elles sont majeures mais beaucoup sont clairement mineures. À partir de ma propre expérience, je peux toutefois dire qu’il n’y pas à Marseille de prostitution de mineures organisée sur la voie publique. Mais la prostitution des mineur-e-s existe et elle concerne de nombreux jeunes, des centaines sur Marseille !

Il faudrait d’ailleurs plutôt parler d’errance sexuelle. Beaucoup ne sont pas conscients de faire de la prostitution. La ville a travaillé utilement sur cette question. Le DSU, Développement social urbain, et les CCPD, Comités de prévention de la délinquance, ont permis de clarifier ces questions.

Quels autres évolutions avez-vous observées ces dernières années ?

Il y a sur Marseille une vingtaine de bars américains, qui ont toujours existé. Les évolutions concernent surtout les bars et les clubs échangistes. Les bars, les gamines en galère y atterrissent comme serveuses et passé une certaine heure, on tire le rideau…

Quant aux boîtes échangistes, elles embauchent des jeunes femmes, des « hôtesses » pour combler les effectifs féminins. Parallèlement, des établissements sont en train de créer de nouvelles habitudes de « consommation ».

Je rencontre des jeunes garçons qui passent la frontière pour aller en Espagne dans ces nouvelles « discothèques » qui ne sont rien d’autre que des bordels. Ils partent pour le week-end, font le plein de whisky et de cigarettes qu’ils revendent ensuite et vont se distraire dans ces boites où l’entrée est bon marché. Ils ont l’impression de se faire draguer par les jeunes filles, sont persuadés qu’elles les choisissent et ont une illusion de santé et de sécurité. A la fin, ils passent à la caisse et pour 70 euros ils ont une créature de rêve. Ils sont devenus clients.

En fait, il s’agit de maisons closes. Le monde de la nuit repose sur la tromperie. Je suis impressionné par ces méthodes. Tout cela se développe à une vitesse foudroyante et nous, nous sommes très lents à comprendre.

Entrez-vous dans les bars et boîtes où s’exerce la prostitution ?

Actuellement non. Ce serait pourtant indispensable d’aller dans les bars à hôtesses, les sex-shops, mais professionnellement. Or, rien n’est clair. Nous sommes en contact avec des personnes prostituées, avec le champ de la sexualité. Notre travail est particulier, il y a une part de risque.

L’institution a un rôle à jouer pour donner des jalons, des repères, instaurer la confiance, lever les sous-entendus. Il faut une vraie réflexion sur l’organisation de ce type de travail et la mise en place d’un vrai dispositif. Donner un préservatif à un-e mineur-e sans prise en charge, je ne suis pas d’accord. Pour atteindre ces populations, on pourrait imaginer passer des messages sur des lignes téléphoniques. Dire à ces jeunes, qui sont isolées, « tu peux nous contacter« .

De quels moyens manquez-vous le plus ?

On arrive tout de même à suivre ces jeunes filles. Dès lors qu’elles nous identifient, les tabous tombent. Elles savent qu’elles ne seront pas jugées. Mais on manque de réponses. Il faut une protection des jeunes majeur-e-s de 18 à 21 ans. L’essentiel, c’est établir un travail de confiance avec elles, disposer d’une vraie structure, d’équipes solides et souples, et pouvoir travailler sur la durée. Il faut des traducteurs mais plus largement des personnes médiatrices qui soient à même de comprendre les cultures d’origine.
Les équipes doivent être mobiles pour pouvoir s’adapter aux déplacements des jeunes filles puisque les souteneurs organisent leur mobilité constante. Dans l’idéal, il faut tourner à deux hommes et une femme pour désamorcer les problèmes de séduction et assurer la sécurité.

Pour vous, la prévention est centrale ?

Il y a un problème autour de la sexualité. On n’a pas su en parler à ces mineurs. Le travail de prévention indispensable doit notamment toucher aux rapports hommes/femmes. Il faut aussi expliquer, parler des risques. Aucune gamine ne sort indemne de ce type d’expérience. Ce n’est pas un métier.
Ce qu’il faut, c’est un arsenal de mesures au plan social pour leur permettre d’en sortir dès qu’elles le souhaitent. Il est temps d’arrêter la politique de l’autruche. Il faut trois volets essentiels : une prise en charge des personnes, une politique d’éducation et de prévention, une vraie lutte contre le proxénétisme.

Question subsidiaire… Les réseaux pédophiles existent-ils ?

Il faut faire la part du fantasme, de la rumeur, et être très prudent. Disons que des sources convergentes nous font penser qu’il existe des dispositifs de mise en relation entre les jeunes vulnérables et les clients à tous les niveaux de la société, notamment dans les beaux milieux. Nous avons croisé des gamins invités dans certaines soirées… Il y a des raisons de se poser des questions.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.