Entretien avec Noura Raad, co-présidente du Réseau européen des femmes migrantes (ENoMW) et membre du Mouvement du Nid.
Enregistré à Bruxelles en 2012, le réseau est né de l’idée d’un groupe de femmes migrantes d’associations membres du Lobby européen des femmes (LEF). Leur objectif : faire entendre la voix de celles qu’on n’entend pas et lutter pour leurs droits.
Quels sont les objectifs du Réseau ?
Les associations fondatrices se sont rendu compte qu’il fallait faire entendre la voix des femmes migrantes et leurs problèmes spécifiques en Europe. Aussi, qu’il était indispensable de mettre en avant les femmes concernées qui luttent pour leurs droits et de les aider à se battre pour y avoir accès.
Cette année, nous fêtons les dix ans du réseau. L’organisation a grandi et compte plus de 50 membres dans plus de 23 pays européens, qui sont majoritairement des associations formées et dirigées par des femmes migrantes.
Nous sommes de plus en plus visibles et contribuons largement au plaidoyer au niveau européen et international. Le tout avec maintenant une superbe équipe salariée de femmes migrantes, Alyssa Ahrabare, Adriana S. Thiago, Anna Zobnina et Frohar Poya, qui nous permet d’avoir de plus en plus de projets concrets.
Quelles sont vos principales actions concrètes ?
Il y a, bien sûr, sur le terrain, les actions de nos membres pour apporter de l’aide et de l’accompagnement aux femmes migrantes victimes de violences sexistes/sexuelles, de favoriser l’accès aux droits, à l’emploi des femmes migrantes, le respect de leurs droits. Au niveau européen, le réseau réunit toutes les questions et les porte en plaidoyer.
Mais nous avons aussi un rôle de mise en contact de nos membres pour travailler sur des projets communs, en particulier depuis la crise du Covid qui nous a poussé à nous réunir virtuellement pour parler de l’impact particulièrement lourd sur les filles et femmes migrantes. Sans hébergement, sans ressources, sans papiers, elles sont évidemment parmi les plus vulnérables aux crises.
De ce travail est sorti un rapport présenté fin juin 2022 sur l’accès aux droits fondamentaux des filles et femmes migrantes avec des recommandations que nous portons ensuite en plaidoyer et en faisant de la sensibilisation dans chaque Etat.
C’est une chose que nous avons faite en 2021 en France, avec la présentation, notamment par Osez le féminisme ! Et Olympe (membres du réseau), de notre rapport sur la santé mentale des femmes migrantes.
Autre exemple, notre groupe radical girlsss, composé de jeunes femmes a travaillé aussi sur la participation politique des femmes migrantes, avec de la sensibilisation pour aider celles-ci à participer, faire entendre leur voix et avoir un pouvoir décisionnel. Nous sommes intervenues sur le sujet au Forum Génération Egalité en 2021.
Quelle est votre action en rapport avec les violences faites aux femmes et la prostitution ?
Le réseau est évidemment abolitionniste et travaille beaucoup sur l’ensemble des violences faites aux femmes migrantes qui sont très exposées en raison de leur vulnérabilité pour différentes raisons (économiques, liée aux documents, etc.).
Par exemple, nous avons mené un projet très intéressant où les associations membres ont envoyé à une artiste les sujets sur lesquels elles travaillent : les violences conjugales, le viol au sein du couple, l’accompagnement des familles à la régularisation et l’accompagnement des victimes de traite sexuelle et de prostitution.
L’artiste a réalisé des peintures et un kit artistique qui permet un panorama visuel de toutes les violences vécues par les femmes et filles migrantes. Nous l’utilisons en sensibilisation et plaidoyer et les associations nationales peuvent le relayer.
Aussi, nous avons obtenu le statut d’observateur au niveau du Conseil de l’Europe et il s’agit pour nous d’une très grande réussite : nous avons déjà pu contribuer à la dernière recommandation sur les droits des filles et des femmes migrantes demandeuses d’asile et réfugiées adoptée et publiée le 20 mai et qui pour la première fois dans l’histoire évoque l’exploitation sexuelle et les droits reproductifs des filles et des femmes migrantes en ces termes.
C’est un combat permanent que nous menons aussi pour que les différentes institutions ne parlent pas de « travail du sexe » mais d’exploitation sexuelle et de protection envers les filles et femmes.
Quelle est votre analyse de la domination masculine ?
C’est la domination masculine qui fait que les femmes migrantes subissent une double peine. Elles sont soumises à des discriminations multiples et à des violences, y compris la prostitution, alors que ce qu’elles souhaitent c’est de vivre en autonomie et en toute indépendance des violences fondées sur le sexe. Les femmes migrantes ne choisissent pas la prostitution, elles le subissent en raison des violences masculines.
Le réseau a pour priorité de prévenir l’exploitation sexuelle des femmes migrantes, ses raisons et conséquences sur la base d’une analyse féministe pour comprendre que ça n’a jamais été une question de choix.
Comment réagissez-vous face aux crises qui touchent les femmes dans le monde et à l’accueil des réfugiées en Europe ?
Nous avons fait un gros travail pour aider à l’évacuation et au soutien aux femmes afghanes après le retour des talibans. Le réseau a été mobilisé dès le début aux côtés des filles et femmes afghanes. Ainsi, on a pu aider à évacuer de très nombreuses femmes. Nous avons aussi organisé des rencontres à distance dont une avec une femme militante pour les droits des femmes afghanes restée sur place, Madame Mahbouba Seraj. Elle a pu nous expliquer comment elle continue à se battre de l’intérieur du pays pour essayer de mettre les femmes en danger dans des hébergements sûrs et a décrit la réalité de la menace que les Talibans font peser sur les femmes. C’était très émouvant.
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Et comment avez-vous réagi à la guerre en Ukraine ?
La guerre en Ukraine nous a poussées à lancer des alertes concrètes concernant notamment la question d’exploitation sexuelle des ukrainiennes. Les hommes prostitueurs profitent de la grande difficulté dans laquelle se trouvent ces femmes pour leur proposer des hébergements ou autres aides en contrepartie de contrainte sexuelle. Même avant cette guerre, les Ukrainiennes ont toujours été victimes de traite à des fins de prostitution et de pornographie.
Dans ce contexte, le réseau milite pour le modèle nordique abolitionniste et pour la défense des femmes migrantes. En raison de la guerre en Ukraine, les filles et femmes ukrainiennes sont davantage confrontées à ce risque de violence. Elles sont la cible principale des proxénètes et des prostitueurs.
Nous avons donc réuni une coalition d’abolitionnistes formée d’associations ukrainiennes, ce qui nous a permis d’avoir des informations, notamment sur le fait que beaucoup de femmes, enfermées dans des réseaux sur place sont en danger de prostitution avant même de quitter l’Ukraine.
Il y a aussi celles qui sont victimes de ce système en arrivant en Europe de l’Ouest, notamment par des publications de proxénètes ou d’organisations pro-prostitution qui font la publicité du « travail du sexe » et profitent donc de leur situation de vulnérabilité. Nous l’avons constaté notamment en Pologne.
Nous avons par ailleurs réuni un groupe de travail composé de juristes et avocates pour concevoir des publications dans plusieurs pays à destination des femmes ukrainiennes sur l’accès aux droits et la prévention contre l’exploitation sexuelle. Des guides ont été publiés dans différentes langues.
Enfin, au niveau du plaidoyer, nous avons saisi la Commission européenne et fait un rapport sur la situation avec des chiffres, des faits et des témoignages de femmes concernées. Nous avons en même temps rappelé l’importance d’avoir une législation abolitionniste harmonisée partout en Europe car c’est la seule solution pour combattre la traite à des fins de prostitution.
Sur la GPA, vous êtes également en pointe, aux côtés de la CIAMS ?
Nous avons un positionnement très clair sur ce sujet. La GPA est une forme d’exploitation des corps des femmes et contraire à la dignité humaine et à l’inaliénabilité du corps humain. Elle ne peut donc faire l’objet d’un contrat.
Nous avons également expliqué dans une note (« position paper ») en quoi les circuits de l’exploitation reproductive dans la GPA sont les mêmes que dans la prostitution. Nous constatons qu’on n’a jamais atteint un niveau de privations de droits des femmes tel que celui que l’on peut trouver dans les contrats de GPA.
Nous travaillons également sur un rapport sur le sujet de la GPA et les conséquences sur les femmes migrantes avec la CIAMS.
Pour en savoir plus : Le site du réseau européen des femmes migrantes