Stéphanie : « Je n’aurais pas imaginé tant de bienveillance »

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Stéphanie, survivante de la prostitution et aujourd’hui membre de notre comité de rédaction, a récemment déposé plainte contre ses proxénètes. Elle raconte ce processus qui s’est déroulé dans la bienveillance. Mais qui, malheureusement, a donné lieu à un classement sans suite.

Comment a mûri ta décision de porter plainte ?

Quand j’ai quitté la prostitution, en 2016, porter plainte aurait été inconcevable. Je pensais que tout était ma faute et je ne me voyais absolument pas comme une victime. C’est lors de mon hospitalisation, puis du travail avec mon psy, que je suis passée de la culpabilité à l’idée que ce que j’avais vécu n’était pas normal et qu’il fallait que ces hommes payent. Mais j’ai attendu d’être suffisamment reconstruite, d’avoir un emploi et d’arrêter mes traitements. 

Alors, j’ai eu besoin de mettre un point final à cette histoire et j’ai décidé, après en avoir parlé avec mon entourage, personnel et associatif, de déposer plainte contre mes proxénètes. En fait, le processus a pris cinq années. Il me fallait du recul, me sentir prête psychologiquement. Un jour, j’avais entendu un policier s’étonner : « Mais pourquoi attendez-vous pour porter plainte ? » Franchement, il ne se rendait pas compte…

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De quelles émotions te souviens-tu ?

Il y avait de l’appréhension et de la peur. Si je remuais tout ça, est-ce qu’il n’y aurait pas des représailles contre moi ou ma famille ? De la honte aussi : devoir dire que j’avais été prostituée… Les violences conjugales que j’avais subies, j’avais pu en parler. Mais la prostitution, c’est très difficile à dire. Dans un cas, on est vue comme victime, dans l’autre comme coupable. Et puis je craignais d’être mal reçue par la police. Or, j’ai été incroyablement soulagée. Je n’aurais pas imaginé qu’autant de temps me serait octroyé, et autant de bienveillance. C’est une réalité, des policiers commencent à être formés, à savoir écouter les victimes et à comprendre les mécanismes d’emprise et de manipulation.

Peux tu détailler le déroulement de la procédure ?

Un mois avant, j’ai eu un premier entretien avec la psychologue de la police à qui j’ai pu dire mes attentes. Le Jour J, à 9h, c’est par elle que j’ai été accueillie. Elle m’a tout réexpliqué et m’a interrogée sur mon état d’esprit. 

Comme je me suis effondrée en larmes, elle m’a rassurée en me disant que ce serait une femme qui prendrait ma plainte, qu’elle serait douce et habillée en civil. Ils avaient donc tenu parole ; énorme soulagement pour moi qui avais demandé que ce ne soit pas un homme. A 9h30, j’ai été reçue par une brigadière.

 Elle m’a dit qu’elle était là depuis 18 ans et qu’elle avait l’habitude de recevoir des victimes. Le mot «  victime  » a résonné dans mon oreille… et j’ai refondu en larmes. Elle m’a expliqué qu’on avait tout notre temps, que je pourrais faire des pauses, aller boire un café. Le lien de confiance s’est vite créé. En plus, elle m’a d’abord écoutée sans me couper, en ne prenant que quelques notes au brouillon, ce qui m’a détendue.

Quand je donnais des noms, elle vérifiait les casiers. Tous étaient connus des  services de police. J’ai vu qu’on me croyait, qu’on me prenait au sérieux. Elle m’a proposé de faire deux plaintes séparées pour mes deux proxénètes. Et j’ai eu tout mon temps pour le faire  : trois heures le matin puis deux heures l’après midi  ! Lorsque j’avais porté plainte pour viol, tout avait été plié en une heure et j’avais eu droit à des questions qui me mettaient en cause. Cette fois, je n’ai eu qu’à donner des faits  ; sur les « clients » (des noms, des téléphones), et les proxénètes. 

Quelques critiques, même si tout s’est bien passé  ?

Au début, j’ai été déstabilisée par l’ambiance un peu glauque, les passages incessants dans le bureau, la présence d’un autre policier à côté qui parlait d’une autre affaire. On aimerait tellement pouvoir être en tête à tête. Et puis la poussière, les photos de stupéfiants sur les murs, l’accueil à l’interphone qui oblige à dire pour quelle raison on vient. Au commissariat de mon quartier, il y a un code couleur qui n’oblige pas la personne à prononcer à haute voix la raison de sa venue. C’est une bonne idée…  Mais tout le monde a été très gentil et mon image de la police en a été changée, moi qui l’avais connue plutôt comme l’ennemie, celle qui cause des ennuis.

Ton état d’esprit à la sortie  ? 

Quand je suis sortie du commissariat avec la copie de mes deux plaintes (et le numéro de téléphone de la brigadière), un énorme poids est tombé de mes épaules. Lire mon histoire noir sur blanc sur un papier officiel de la Police, c’était la preuve que j’étais allée au bout du chemin.

J’étais fière de moi d’autant que je voulais que cette étape si importante symboliquement soit réglée avant la fin 2021 pour commencer en 2022 une vie toute neuve. Là dessus aussi, les policiers ont tenu leur promesse. Pendant deux semaines, tout s’est bien passé. Et puis soudain, il a suffi que l’un de mes employeurs me parle sèchement pour que je craque. Tout est remonté : les flashs, les angoisses, l’agressivité, la culpabilité  : est-ce que j’ai bien fait, pourquoi je mets ces garçons dans la galère…

Enfin, le 17 décembre nouvel effondrement. Un coup de fil de la brigadière m’apprend que ma première plainte a été classée sans suite par le procureur.  Il n’y aurait pas eu assez d’éléments pour enquêter, notamment des échanges téléphoniques avec mes proxénètes portant sur les tarifs par exemple. Mais comment conserver ces échanges ? Je n’étais plus moi-même et je changeais de téléphone tous les quinze jours ! J’ai senti que la brigadière était déçue elle aussi. Elle m’a dit qu’elle restait disponible si j’avais besoin. Quand même, je me pose des questions. Ce proxénète est connu de la police et il ne sera même pas entendu ? Il est protégé ou quoi ? Maintenant, il reste la deuxième plainte et elle va demander du temps. Je n’ai aucune idée de l’issue.

A lire également, notre article sur les évolutions concernant les dépôts de plainte ces dernières années : dépôts de plainte, des progrès mais peut mieux faire

Ressources pour trouver de l’aide, le site du gouvernement : « arrêtons les violences »

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.