Le livre de l’actrice et chanteuse Judith Chemla est un cri de révolte contre la violence conjugale et le silence dans lequel involontairement, les victimes sont enfermées du fait de la stratégie de l’agresseur. Bouleversant et salvateur.
« Je veux raconter ces mécanismes d’asservissement à la violence, si profondément ancrés en nous », explique l’autrice dans l’introduction.
Sortie du déni après de nombreuses années, Judith Chemla raconte et analyse les violences conjugales qu’elle a subies : « Par deux fois, j’ai été violemment assiégée. Comment ne pas y voir une tentative désespérée de destruction de la part des hommes, dont je suis pourtant venue prolonger la lignée ? »
Les violences psychologiques et physiques perpétrées par les pères de ses deux enfants font froid dans le dos. Notamment le harcèlement de son dernier compagnon, « le loup »[[si elle ne le nomme pas dans le livre, il est de notoriété publique qu’il s’agit du réalisateur Yoann Manca]], qui s’est encore démultipliée une fois que Judith Chemla s’est séparée de lui. En quelques mois, et malgré une injonction à ne pas l’approcher ni la contacter, il lui envoie plus de 900 messages, et enfreint en permanence ses obligations judiciaires, l’empêchant littéralement de vivre.
C’est cet empêchement qui caractérise le contrôle opéré par les hommes qu’elle a côtoyés, et qui lui font dire (à propos du « Prince », le premier compagnon[[de la même manière, « le prince » n’est pas nommé, mais on sait qu’il s’agit de James Thierrée, danseur et petit-fils de Charlie Chaplin]], qui lui disait que les femmes n’avaient jamais été des créatrices et qui la dévalorise systématiquement dans son travail : « Je sens que je n’ai plus d’espace. Que je vais étouffer, que ma liberté ne le réjouit pas ; au contraire. »
Il lui est d’autant plus difficile de sortir de la violence, qu’elle aime ses compagnons, et ne veut pas leur nuire. Et qu’elle fait tout pour protéger leur relation avec leur enfant (un fils du premier, une fille du second). Alors que lui ne cesse d’utiliser les enfants comme des armes de manipulation contre elle, c’est elle qui se sent coupable.
Judith Chemla dénonce un déni tenace et sociétal
« Quand j’accepte aujourd’hui de réaliser l’ampleur de mon propre déni, je constate que la société entière est plongée dans le même travers », explique Judith Chemla.
Et de dire, plus loin « Mais les choses ne sont pas si claires pour moi à ce moment là. Je suis inculte, je ne connais pas encore l’ampleur du désastre, je ne sais pas encore à quel point mes soeurs ont été sacrifiées avant moi, je n’ai pas conscience de la lutte immense des femmes qui m’ont précédée, et j’ignore celles qui se battent toujours aujourd’hui pour la liberté que je crois avoir, et à laquelle j’aspire ».
La lecture de Notre silence nous a laissées seules est particulièrement douloureuse. Douloureuse, face à une ampleur de la violence et du harcèlement qui parvient encore à nous étonner, nous qui avons pourtant tant recueilli de récits de violence parmi les victimes de prostitution.
Douloureuse aussi, car Judith Chemla sait que malgré sa dénonciation publique de la violence, malgré la sortie du déni, elle n’est pas sortie d’affaire. Car les pères malades du patriarcat, sont ceux qui gardent le plus longtemps la possibilité du pouvoir sur les mères de leurs enfants…
Cet ouvrage est un cri, cri contre le silence, et pour que les choses puissent enfin changer. Pour elle, et pour toutes les autres.
« J’ai été attaquée, gravement, et longtemps. Pourquoi simplement le dire porte cette valeur d’arme de destruction ? Est-ce encore un retournement de situation, une perversion dans la manière de conduire le récit que j’ai moi même intégrée ? Pourquoi vouloir simplement se défendre en demandant la paix nous positionne comme des guerrières ? »
(…)
« La justice ne doit pas punir celles et ceux qui osent dire la vérité. Elle doit les protéger. Remettons le monde à l’endroit », conclut-elle.
A lire également : révélations de Judith Godrèche
Notre silence nous a laissées seules, Judith Chemla, Robert Laffont, 2024