Le devoir conjugal réhabilité par les juges ?

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Pour la première fois, une femme a été amenée à déposer un recours contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme pour ingérence dans la vie privée et atteinte à l’intégrité physique. La raison a de quoi surprendre. Condamnée en Cour d’appel pour avoir refusé d’avoir des relations sexuelles avec son mari, elle a vu la Cour de cassation rejeter son pourvoi sans justification.

Ces deux éminentes institutions lui ont donc nié le droit de ne pas consentir à des relations sexuelles et n’ont pas craint de défendre un « droit » du mari qui relèverait devant les tribunaux du viol aggravé. On comprend l’indignation, entre autres, du Collectif Féministe contre le Viol et de La Fondation des Femmes qui accompagnent la plaignante.

Contradiction, le mot est faible. Reprenons. Le viol, aujourd’hui sanctionné en tant qu’acte de pénétration sexuelle imposé sous « la contrainte, la menace, la surprise ou la violence», y compris entre époux, est passible des assises et de vingt ans de réclusion. Le « devoir conjugal », aboli depuis le 5 septembre 1990 par la Cour de Cassation, ne peut plus être invoqué, le viol conjugal étant inscrit dans le Code Pénal comme circonstance aggravante par la loi du 4 avril 2006.

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Certes, le refus du « devoir conjugal » a longtemps été brandi comme motif de divorce pour « faute ». Mais on parle d’un temps qui semblait heureusement révolu. « Il a fallu de nombreuses années de lutte pour en finir avec la zone de non-droit que représentait le lit conjugal, où l’on sait que se produisent la majorité des viols » écrivent le CFCV et la Fondation des Femmes. « Parler d’un “devoir conjugal” alors qu’il n’existe pas dans la loi, c’est maintenir un outil d’intimidation pour les agresseurs sexuels violeurs dans le couple. »
Il nous semble que l’enjeu est de taille en ces temps où la notion de consentement est au cœur du débat.

Parallèle entre les lois de 2006 et 2016
La présomption de consentement reste tenace, encore plus dans le cadre du couple, en vertu de la vieille idée voulant que le mariage n’existe que s’il est consommé sexuellement. Il se trouve donc des juges, sans doute attachés à une tradition juridique héritée du droit canonique, pour expliquer à une épouse qu’elle doit se plier aux exigences de son seigneur et maître.
Voilà donc une nouvelle preuve du combat quotidien qu’il faut inlassablement mener entre les avancées légales et juridiques et un ensemble de vieux réflexes appelé « mentalités »… En matière de prostitution aussi, ces mentalités continuent de peser lourd et de s’opposer aux progrès législatifs. Ne pourrait-on pas pourtant risquer un parallèle entre les lois de 2006 et de 2016 ? En 2006, le « droit » traditionnel de l’époux de disposer sexuellement de l’épouse n’est plus garanti par l’institution du mariage.

En 2016, le « droit » du « client » prostitueur de disposer sexuellement de la personne prostituée est non seulement abrogé mais toute violence exercée contre elle devient une circonstance aggravante. Cadre conjugal, cadre prostitutionnel… L’un et l’autre créaient une « obligation de consentir » : des consentements artificiels, extorqués par des situations de domination désormais caduques, autorité maritale ou pression financière.
Dans les deux cas, le monde patriarcal se voit sérieusement entamé. On ne peut donc pas s’étonner qu’il oppose une solide résistance. Si le viol conjugal reste un impensé dans beaucoup d’esprits, il en est de même pour l’agression qu’exerce le « client » prostitueur contre la personne qu’il utilise sexuellement. Changer les mentalités demande plus d’années encore que le vote d’une loi. Ce n’est pas peu dire.

A lire également : les pièges du consentement, de Catherine Le Magueresse

 

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.