Marie-Renée Jamet a 93 ans. Responsable de la délégation du Mouvement du Nid du Morbihan qu’elle a fondée, elle est la dernière des « équipières » du Nid au sein de l’association. Elle-même équipière depuis 1968, elle a connu André-Marie Talvas et Maggy Boire, les deux principales personnalités militantes à l’origine du mouvement. Elle nous explique qui étaient ces femmes qui ont été les pionnières de l’action auprès des personnes prostituées, à une époque où la société considérait encore celles-ci comme des délinquantes.
Marie-Renée Jamet, qui était Maggy Boire ?
Tout a commencé avec elle. C’était une grande jeune femme de Fougères, appartenant à la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne). Venue en touriste à Paris pour le 14 juillet 1943, elle a découvert qu’il y avait des jeunes femmes qui attendaient dans la rue sans rien faire! elle leur a demandé ce qu’elles attendaient. Elles lui ont répondu :« on attend des messieurs, parce qu’on a besoin d’argent ». Elles étaient prostituées. En bonne « jociste », elle a dit qu’elle ne supportait pas que des femmes soient exploitées comme ça. Elle est rentrée chez elle, a démissionné de la fabrique de chaussures où elle travaillait, puis revenue sur Paris, a trouvé un petit travail en maroquinerie et loué une chambre d’hôtel Boulevard de Charonne.
Elle est allée retrouver ces jeunes femmes, qui lui ont demandé de les aider à « quitter ça ». C’est comme ça qu’elle a commencé à en accueillir deux ou trois dans sa chambre.
Sur ces entrefaites, le Père Talvas, vicaire à Paramé , qui l’avait connue à la JOC (jeunesse ouvrière chrétienne) en Bretagne, et qui avait été prisonnier de guerre jusqu’en 1941, est nommé aumônier national à Paris. On lui demande d’accueillir une jeune femme en difficulté de Saint-Malo recherchée pour avortement, vol, etc. Quand il a su ce que Maggy faisait à Paris, il est allé la trouver et lui a demandé d’accueillir cette jeune femme.
C’est donc Maggy qui a été la première à accueillir des femmes. Quand le Père Talvas l’a rejointe et vu toutes les femmes accueillies, il a dit :« vous n’allez pas pouvoir continuer comme ça, il n’y a pas assez de place pour en accueillir d’autres ». Ils ont alors loué un petit appartement rue Béranger.
Maggy accueillait les femmes et le Père Talvas sillonnait les rues de Paris, de Pigalle, pour aller à la rencontre des personnes. C’est comme cela que tout a commencé.
Quelle est l’origine du nom « le Nid » ?
C’est dans l’appartement de la rue Béranger que les jeunes femmes ont donné ce nom. Il y a plusieurs versions de l’histoire mais la plus probable est que le Père Talvas serait un jour monté les rencontrer dans le petit appartement au sixième étage sous les toits et les aurait entendu chanter. Arrivé en haut, il leur aurait dit :« ça chante ici comme dans un nid d’oiseau ». Ce sont ensuite elles qui ont repris ce mot. « On cherchait un nom pour notre groupe on s’appellera le Nid », ont-elles dit.
Qui sont les équipières et quand arrivent-elles ?
C’est à partir de Maggy qu’est née l’équipe du Nid. Quelques militantes chrétiennes l’ont rejointe en 1944/45 et début 1946, leur équipe a été reconnue comme un mouvement d’Eglise (aujourd’hui le Mouvement du Nid n’est plus mouvement d’église NDLR). Les équipières sont des femmes, qui consacrent leur vie à Dieu (laïques consacrées) au service des personnes prostituées.
En 1946, beaucoup ont répondu à un appel du Père Talvas dansTémoignage Chrétien qui disait : « il y a une jeune femme qui accueille des femmes prostituées à Paris, venez l’aider« . Beaucoup de jeunes filles de tous les coins de France et de tous les milieux sociaux et mouvements catholiques sont montées à Paris rejoindre l’Equipe, certaines pour se consacrer un temps où pour toujours ; d’autres se sont mariées.
L’appartement de la rue Béranger étant trop petit, le Père Talvas a appelé Mademoiselle Grandmougin, qui était son assistante à Paramé. Elle a vendu tous ses biens et permis l’achat du pavillon de Fontenay-aux-Roses qui est devenu le premier foyer du Nid en octobre 1945. Ensuite, ce foyer étant devenu à son tour trop petit, le centre d’accueil est transféré à Clichy dans la grande maison du boulevard Leclerc (aujourd’hui maison des associations NDLR).
Combien y avait-il d’équipières et quel était leur rôle ?
Après quelques années, tout a été très organisé, avec répartition du travail dans la maison. C’était la vie en commun, la vie avec les personnes accompagnées. Les équipières partageaient toutes les tâches de la maison avec elles. 
Dans les années 1946-50, elles étaient plus de 80. Elles ont fait des études, d’assistante sociale, d’éducatrice, pour pouvoir aider les personnes à partir de 1958. Et elles continuaient à aller sur le trottoir, à leur rencontre.
Comment le Nid a-t-il ensuite évolué vers une association, « l’Amicale du Nid » ?
Autour de ces foyers, des chrétiens militants ou pas, des juristes, des parlementaires sont venus et ont constitué « les Amis du Nid », qui sont devenus officiellement en juillet 1946 l’association loi 1901« Amicale du Nid ».
Les équipières d’un côté faisaient tout le travail de fond, tandis que les amis de l’Amicale prenaient le relais lors des week-ends ou des vacances en accueillant les jeunes femmes.
Est-ce que dès le départ, la philosophie de la rencontre des personnes prostituées sur les lieux de prostitution était la même que celle qu’on connaît aujourd’hui ?
La rencontre est vraiment le point de départ du Nid. C’est Maggy qui a commencé. Le Père Talvas, lui aussi, rencontrait des personnes à Montmartre. Quand il a fait la connaissance de Maggy, ils ont continué ensemble et ont développé l’activité. Avant l’équipe du Nid, je ne pense pas qu’il y ait eu d’autre rencontres sur le terrain. C’était difficile, mais une foule de gens les ont aidées ; le père Talvas créait des relations extraordinaires.
Quel rôle les équipières ont-elles joué dans le développement national et international de l’association ?
Elles ont toujours été présentes à la création des foyers du Nid. Par exemple, le père Talvas, en 1963, a initié le Nid au Brésil, et ce sont des équipières qui sont parties pour le créer. En France, ce sont des équipières qui ont créé les foyers de Lyon et Marseille, et ce sont des équipières qui sont parties au Portugal à la demande du gouvernement pour ouvrir des foyers. Elles sont vraiment le point de départ des foyers et services. La plupart sont ensuite restées soit éducatrices soit directrices de foyer jusqu’à leur retraite.
Est-ce que dès le départ, il y avait aussi cette volonté de relayer la parole des personnes prostituées ?
C’est la spécificité de l’Equipe et du Mouvement du Nid : partir de la parole des femmes, être au plus près de ce qu’elles souhaitent. Les équipières se sont formées, ont entrepris des études, ou se sont installées comme travailleuses familiales dans le sous-prolétariat d’alors. Auprès des malades alcooliques, ou comme femmes de ménage dans les quartiers de la prostitution. Pour vraiment savoir de quoi elles parlent et toucher la société, elles ont voulu aller voir là où sont les causes de l’entrée des femmes dans le milieu prostitutionnel. Elles passaient six mois en atelier, pour comprendre la vie en usine là où les femmes qui allaient sortir de la prostitution, pouvaient se retrouver après.
Pourquoi et quand a-t-il cessé d’y avoir de nouvelles équipières ?
Les dernières ont commencé dans les années 1970. Aujourd’hui, il n’en reste que six. Au Mouvement du Nid, il y a moi, et à l’Amicale, une ex-directrice du foyer de Paris. Lors de l’Assemblée générale des équipières en 1974, le Mouvement du Nid créé et désormais séparé de l’Amicale du Nid, nous nous sommes interrogées sur notre place. Nous étions dans les conseils d’administration des deux associations, nous avons décidé que nous restions militantes, ou salariées, mais que nous n’appartiendrions plus aux CA en tant qu’équipières.
Penses-tu qu’aujourd’hui, le Mouvement du Nid est fidèle à ce que Maggy Boire et André-Marie Talvas avaient commencé ?
Ce qui a changé, c’est que l’association n’est plus un mouvement d’Eglise, ce que personnellement je regrette. Mais le Mouvement du Nid respecte et met en œuvre la dimension primordiale de ce qu’a voulu l’Equipe du Nid : la rencontre des personnes. C’est le point de départ de Maggy. C’est et cela doit rester le point de départ, toujours. De tout faire à partir des femmes prostituées, de leurs besoins, et de chercher à comprendre d’où elles viennent, cequi fait qu’elles se sont retrouvées dans la prostitution. En ce sens, l’association est toujours fidèle à ce qu’a voulu Maggy dès son origine.
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