Nathalie Kosciusko-Morizet, députée

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La prostitution est un des symptômes d’une société où la place des femmes est en régression, un signal d’alerte.

Députée, vice-présidente déléguée des Républicains, présidente du groupe Les Républicains au Conseil de Paris, ex-secrétaire d’État, ex-ministre, Nathalie Kosciusko-Morizet a créé l’événement à l’été 2015 en dénonçant la prolifération des salons de massage, notamment à Paris, et en lançant une pétition. La prostitution est un sujet qui lui tient à cœur…

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Pourquoi cet intérêt pour une question que beaucoup de politiques préfèrent ignorer ?

Au début des années 1990, j’ai fait un service militaire qui m’a conduite à être officier dans la Marine Nationale, dans l’Océan Indien, et j’ai vu de très près la prostitution à Djibouti et dans les ports. J’ai été frappée par le décalage entre l’apparence joyeuse, festive, et la réalité : la traite humaine, le désastre sanitaire et social. Il s’agissait de très jeunes filles, des Érythréennes, des gamines venues de la corne de l’Afrique, toutes issues des zones de conflit, exposées à toutes les violences et qui pour beaucoup souffraient du sida. On ne vieillissait pas dans les bordels de Djibouti.

Comment viviez-vous le recours de vos collègues à ces jeunes prostituées ?

À l’époque, j’avais beaucoup plus parlé avec les jeunes filles, de leur vie, qu’avec les hommes qui fréquentaient les bordels, de leurs motivations. Par la suite, je me suis rendue au Bois de Boulogne avec une association, Aux Captifs La Libération ; là aussi, j’ai parlé avec des femmes. J’ai un point de vue sur la violence qu’elles vivent, parce que j’ai parlé avec elles, mais pas spécialement sur les motivations des hommes qui les paient.

Pourquoi avez-vous lancé votre action contre les salons de massage ?

À cause de ce que je ressens comme une hypocrisie insupportable. D’un côté on a un cadre institutionnel, des discussions dans l’hémicycle sur une nouvelle loi qui comporterait la pénalisation des clients. De l’autre, le développement de nouvelles formes de prostitution et des réalités sordides qui les accompagnent. À quoi sert de légiférer si on n’applique pas les lois existantes ?

La loi Marthe Richard qui a fermé les maisons closes en 1946 n’est pas appliquée. Ces dernières années, le nombre des salons de massage a explosé. Le phénomène existe dans tous les centres des grandes villes. Tout le monde sait parfaitement ce qui se passe dans ces établissements mais quand les riverains proposent de témoigner, bien souvent on ne prend même pas leur déposition. Pourtant, les outils juridiques existent. En tant qu’élue, je trouve inacceptable cette installation dans une situation où la loi est bafouée de manière évidente. Il en va de la crédibilité même de l’action politique et de l’autorité publique. À la limite, je suis contre mais je comprends mieux ceux qui défendent la réouverture des maisons closes. Au moins, ils ne sont pas hypocrites. Ce que je demande, c’est que les lois soient appliquées.

Sur le fond, que signifie pour vous cette explosion des formes de prostitution ?

Au-delà des salons de massage, se pose la question du développement de nouvelles formes de prostitution comme la prostitution étudiante. Je suis très inquiète de son ampleur. Il ne s’agit pas d’incriminer Internet qui organise cette mise en réseau mais de regarder le problème plus profond qui est derrière. Il ne s’agit pas tant d’une simple question technologique que d’une certaine idée de représentation de soi-même.

Ce développement actuel pointe vers un problème de fond. Même si ces nouvelles formes ne s’affichent pas sous des dehors visibles de violence, leur existence est un des symp- tômes d’une société où la place des femmes est en régression. C’est un signal d’alerte. Ce mouvement régressif emprunte plusieurs voies différentes. On voit à l’œuvre à la fois les milieux très conservateurs, les communautaristes islamistes, mais aussi la déstructuration, la perte de repères. C’est une conjonction de différents motifs, un mouvement général. Les femmes sont souvent aux avant-postes de la violence écono- mique, elles sont les premières victimes des crises et de la déstabilisation. Or, pour moi, la place qui leur est faite est un critère de développement des sociétés.

Quelles démarches avez-vous entreprises et avec quel résultat ?

J’ai écrit au Préfet de Police qui a en n reconnu l’existence du problème. Selon lui, on compterait 300 établissements douteux sur 575 ! J’ai beaucoup parlé avec des Parisiens qui se plaignent de la situation : ça se passe entre le bureau de tabac et la boulangerie, parfois jusque sur le trottoir et il n’y a pas d’action engagée. On ne sait pas quoi dire à nos jeunes. À la suite de cette initiative, il y a eu une vraie mobilisation de la préfecture de police. Ces actions vont dans le bon sens mais on reste très loin du compte.

Quel soutien recevez-vous dans votre parti ? Comment évoluent les lignes chez Les Républicains ?

On ne peut pas dire que les choses bougent beaucoup sur la question des femmes. Je me bats pour faire évoluer la place des femmes dans mon parti. Lors de la réforme des statuts, j’ai obtenu que soit enfin instaurée la parité à la Commission Nationale d’Investiture et au Bureau Politique, organe névralgique du parti. Mais au niveau des mentalités, on n’avance que très lentement. Pour résumer l’accueil réservé à mon initiative sur la prostitution, je dirais qu’il y a trois réactions : C’est bien malheureux, mais ça a toujours existé, justification au nom de l’ancienneté ; c’est un mal nécessaire, en gros ça évite les viols, et enfin : après tout elles ont choisi, argument qui selon moi fonctionne très moyennement sur les salons et pas du tout dans des tas d’autres situations. Les avis sont très divers sur la question à l’intérieur du parti, comme dans d’autres d’ailleurs. C’est un sujet qui dépasse les clivages partisans.

Vous vous êtes prononcée en faveur de l’actuelle proposition de loi et notamment pour la pénalisation des clients. Pour quelle raison essentielle ?

Parce que c’est le seul moyen d’avancer. Le dispositif actuel ne donne pas de résultats satisfaisants. La proposition de loi en cours de discussion est donc nécessaire.

Cette PPL supprime pourtant la loi sur le racolage votée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy ?

Je n’aurais pas voté une mesure seule de suppression du délit de racolage qui me paraît comporter des risques. Je suis en effet un peu réticente sur la marche arrière en la matière. J’ai vu des témoignages de police montrant que pouvoir entendre les prostituées en garde à vue était un outil nécessaire pour remonter les réseaux dont elles sont victimes. J’aurais aimé pouvoir conserver cet outil, c’est-à-dire trouver un régime juridique qui ne fasse pas d’elles des coupables. À un moment des débats, avait été évoquée l’idée de trouver une formule qui rende cela possible. Elle a été abandonnée. Comme c’est manifestement dif cile, j’ai opéré un arbitrage. Et je choisis la pénalisation des clients, un nouvel outil que j’espère plus performant.