Noémie Renard, auteure d’En finir avec la culture du viol

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La prostitution fait partie de la culture du viol.

Noémie Renard travaille dans le domaine de la recherche en biologie. Elle anime depuis 2011 le blog Antisexisme.net. Elle publie aujourd’hui un petit livre au titre incisif,En finir avec la culture du viol. Ancienne bénévole au Mouvement du Nid, elle ne pouvait dénoncer cette culture sans y intégrer la prostitution.

Qu’apporte de nouveau la notion de « culture du viol » ?

Comme l’ont révélé des enquêtes et le mouvement #metoo, les violences sexuelles sont massives et tolérées. Après la dénonciation du viol, l’idée de culture du viol permet de mettre en avant les caractéristiques sociétales qui le favorisent. Car ses mécanismes sont culturels : stéréotypes, idées reçues sur la sexualité masculine et féminine! Les enquêtes montrent que c’est bien le plaisir de dominer qui prédit la propension au viol et non une pulsion sexuelle. Nous vivons dans un imaginaire érotique imprégné de domination masculine, où les gestes d’humiliation à  l’égard des femmes vont de soi et peuvent même être la condition de l’excitation. Les violences sexuelles, encore largement impunies, ne sont pas des aberrations mais l’expression des hiérarchies existantes et un outil pour les maintenir. Les hommes ne sont donc pas biologiquement des prédateurs, ce n’est pas une destinée. Et les femmes peuvent espérer sortir d’une culture qui nuit à  leur intégrité et leur santé, les maintient dans la peur et réduit leur liberté en leur imposant des comportements d’auto-restriction.

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Les violences sexuelles sont dénoncées, mais la prostitution reste trop souvent justifiée. Pourquoi est-elle toujours à  part ?

Elle fait bien partie de la culture du viol. Mais il n’y a pas encore eu de #metoo dans la prostitution. Pour cela, il faudrait que plus de femmes aient l’opportunité de parler et de dénoncer ce qu’elles vivent. Mais le stigmate est si fort, la honte qui pèse sur elles, qu’elles en sont empêchées. Je suppose également que des intérêts économiques entrent en jeu : par rapport à  d’autres violences sexuelles, celles liées à  l’industrie du sexe rapportent beaucoup d’argent à  leurs profiteurs (proxénètes, patrons de bordels, producteurs de pornographie, etc.), ce qui ne peut que compliquer la libération de la parole des victimes. Ensuite, le viol reste lié à  l’idée de violences physiques – un vrai viol, c’est avec une arme – alors qu’il existe bien d’autres formes de coercition, l’emprise par exemple. Pour avancer sur l’identification de la prostitution comme partie intégrante de la culture du viol, il faut expliquer que la contrainte n’est pas que physique et qu’elle peut être liée à  des mécanismes invisibles à  l’œuvre derrière les rapports de pouvoir. La prostitution fait partie de ces stratégies de coercition invisibles, ici la coercition économique. Elle est considérée comme un échange entre individus libres et consentants mais on ne pose pas la question des conditions dans lesquelles ce consentement est donné. Même sans violences physiques, il ne s’agit jamais de rapports voulus et désirés. L’argent masque la violence, comme dans l’inceste qui est souvent accompagné de cadeaux. Il disculpe les agresseurs et condamne les victimes au silence. Et au lieu de l’identifier comme forme de coercition, l’idée reçue déplace la responsabilité sur la femme vénale ou manipulatrice selon le mécanisme classique de l’inversion des rôles et donc du renversement de culpabilité. Le « client » est présenté comme un pigeon qu’elle mène par le bout du nez.

En attendant, l’idée demeure de besoins sexuels irrépressibles et de la prostitution qui évite les viols ?

C’est l’idée éternelle que les hommes ont des pulsions et qu’il leur faut un exutoire. Ils ont un droit et les femmes ont un devoir. Le cliché de la prostitution évitant les viols est révélateur. Il opère une distinction entre ce que seraient les « vraies » violences et les « fausses » violences. Une violence sexuelle par l’argent, forme de contrainte plus invisible, serait moins grave qu’une violence physique visible.

On ne dénonce pas non plus la pornographie!

La réflexion est encore plus en retard que pour la prostitution. C’est le même mécanisme mais elle paraît plus « propre » parce qu’elle est intégrée à  la vie sociale et que ne pèse pas sur elle la notion de proxénétisme. Il existe encore trop peu d’études mais les enquêtes journalistiques indiquent que la porno est un piège : en effet, les actrices X ont très peu de marges de manœuvre dans cette industrie. Toutes les féministes, même les « pro sexe », sont d’accord pour défendre l’idée qu’une femme doit pouvoir dire non à  tout moment lors d’un rapport sexuel. C’est tout simplement impossible dans la prostitution comme dans la pornographie, même dans celle dite « féministe », à  cause de contraintes de rendement et du contrat ou pseudo contrat qui les lie.

Vous montrez que certaines catégories de femmes sont plus concernées par les violences sexuelles!

Celles aux revenus les plus faibles sont les plus touchées. Sans doute parce qu’elles sont plus dépendantes d’un employeur ou d’un mari agresseurs. Et plus encore que la pauvreté, le handicap agit comme un accélérateur, notamment le handicap mental. La vulnérabilité sociale et économique est un facteur supplémentaire de risque. C’est vrai pour toutes les victimes de violences sexuelles, y compris pour les personnes prostituées.

Que pensez-vous du traitement judiciaire actuel à l’égard des victimes ?

Les tribunaux continuent de faire une distinction entre les violences. Le viol commis par un inconnu et accompagné de violences physiques est condamné plus durement qu’un viol commis par un proche avec d’autres formes de violences. Jusqu’ici les prostituées par exemple étaient perçues comme peu crédibles et des violeurs ont pu être acquittés parce qu’un viol sur elles était considéré comme sans gravité. Les choses changent, heureusement. La prostitution est une violence, la loi de 2016 va dans le bon sens, elle est cohérente avec la dénonciation de la culture du viol. Il est normal que le prostitueur soit pénalisé. Mais le fait qu’il ne soit passible que d’une contravention, que son acte soit placé au même niveau que s’il avait grillé un feu rouge, me choque. La peine est sans commune mesure avec les dégâts causés par la prostitution sur les personnes qui la subissent. Il s’agit avant tout, non pas de mettre les hommes en prison mais de donner une portée pédagogique à  la loi et je doute que celle ci soit suffisante.

Vous suggérez dans votre livre de revoir la notion juridique de consentement ?

Dans la loi française, le consentement de la femme est déduit du comportement de son agresseur. S’il a agi par surprise, menace ou contrainte, elle est considérée comme non consentante. Sinon, elle est consentante par défaut. Or, dans les faits, les rapports de pouvoir font que certains hommes n’ont pas à  user de ces contraintes ou menaces. Il s’agirait donc de définir positivement le consentement, qui de toute façon est une notion ambiguë, quelque part entre désirer et se résigner, en tenant compte des rapports de pouvoir inégaux entre hommes et femmes ; d’en faire un accord libre alliant le désir et la volonté. Ce serait une étape importante pour changer les mentalités et en finir avec l’idée actuelle de femmes a priori disponibles sexuellement, qui est au fondement de la culture du viol.

Quelles autres pistes proposez-vous ?

Avant tout, il est important de lutter contre les inégalités structurelles entre hommes et femmes mais aussi entre blancs et minorités racisées, pays du Nord et pays du Sud, qui sont déterminantes et particulièrement dans le système prostitutionnel. Au plan judiciaire, il faut mettre fin à  la correctionnalisation des affaires de viol, trop souvent disqualifiées en agressions sexuelles, rallonger les délais de prescription, appliquer la loi de 2016 de lutte contre le système prostitutionnel. Mais c’est dans tous les domaines qu’il faut agir : d’abord auprès des jeunes avec une éducation à  l’égalité dès la maternelle, une lutte contre les stéréotypes de genre (pour l’instant, on apprend aux filles à  plaire plutôt qu’à  désirer) et une éducation à  la sexualité adaptée à  chaque âge. En gros, il faut appliquer l’ensemble des dispositions prévues dans un texte essentiel ratifié par la France en 2014, la Convention d’Istanbul [[1 Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à  l’égard des femmes et la violence domestique ratifiée par la France le 4 juillet 2014.. ]] Elle prévoit notamment une meilleure prise en charge des victimes de violences sexuelles, la formation des professionnel.les concerné.es, la mise en place de centres d’accueil d’urgence où les victimes recevraient écoute, soins et accompagnement dans la procédure judiciaire. Pour les mineur.es, il est important d’introduire un âge minimum pour leur consentement (le débat est en cours), mais aussi de tenir compte des écarts d’âge. Encore faut-il dégager les moyens financiers et humains à  la hauteur de l’enjeu. Et on en est bien loin.

En finir avec la culture du viol, préface de Michelle Perrot
Ed. Les Petits Matins, 2018.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.