Comment, au prétexte de protéger la santé
de femmes victimes de violences sexistes, contribue-t-on au maintien de ces violences? Au bout du compte, les bénéfices à court terme ont un prix exorbitant. Isabelle Gillette-Faye, sociologue et directrice du GAMS, dresse pour notre revue un parallèle éclairant avec les politiques de réduction des risques mises en œuvre dans le cadre des mutilations sexuelles féminines (excisions).
Prostitution et Société :
Des associations de santé[[Médecins du Monde, Aides, Act Up Paris, Arcat, ELCS (Elus Locaux Contre le Sida) et le Planning Familial ont adressé une lettre à Maud Olivier, députée de l’Essonne porteuse de la proposition de loi comportant entre autres la pénalisation des clients de la prostitution pour dire leur refus de ce projet au nom d’une approche « pragmatique ».]] se prononcent contre la pénalisation des « clients » de la prostitution au nom du
pragmatisme
et de la réduction des risques.
Que vous inspire cette réaction?
Isabelle Gillette-Faye :
Nous qui travaillons à faire reculer les mutilations sexuelles féminines, ne pouvons pas adhérer à cet argument du pragmatisme. Nous avons trop d’exemples de ses effets pervers. L’Egypte et l’Indonésie par exemple pratiquent, par pragmatisme
et dans une perspective de réduction des risques sanitaires, la médicalisation de l’excision. Actuellement, en Indonésie, les mutilations sexuelles féminines sont médicalisées à plus de cinquante pour cent.
Au lieu d’être pratiquées par des femmes de la communauté (exciseuses et accoucheuses) ou parfois par des barbiers, elles ont lieu dans un établissement médical ou au domicile et sont effectuées par des professionnelLEs de santé, sage-femmes, infirmières, etc. L’idée est de rendre l’intervention plus hygiénique et donc d’éviter les complications médicales, par exemple la transmission des infections – tétanos, hépatite B ou VIH –.
Et en effet, elles sont moins importantes : la maîtrise de la douleur est meilleure ; il y a un moindre risque de mort suite au choc neurologique ; enfin, il est plus facile d’agir contre les hémorragies éventuelles. Mais on constate que ces avantages à court terme – nous l’avions dit et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), également – masquent des complications toujours aussi importantes à moyen et long terme. Au final, une démarche qui se voulait pragmatique s’avère plus délétère encore que la démarche traditionnelle.
Les chiffres montrent que dans les pays qui pratiquent l’excision traditionnelle, on observe un recul ; au contraire, dans ceux où elle est médicalisée, elle est beaucoup plus difficile à éliminer, même dans les milieux lettrés. La pratique est en effet devenue une activité génératrice de revenus pour les professionnels de santé. En milieu traditionnel, si les revenus n’étaient pas que symboliques, les enjeux financiers étaient moindres. Et dans le même temps, le niveau d’instruction des filles s’élève davantage dans les sociétés qui pratiquent les mutilations traditionnelles.
Retrouvez l’entretien intégral avec Isabelle Gillette-Faye sur notre site : Isabelle Gillette-Faye, sociologue et directrice du Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles féminines (GAMS).
Pourquoi la santé des personnes en situation de prostitution est-elle dégradée? Quel état des lieux peut-on amorcer? Quelles pistes pour améliorer l’accès aux soins pour les personnes prostituées? Pour ouvrir les perspectives et quitter l’ornière de la seule question sanitaire, notre dossier « Prostitution, la santé dégradée » s’appuie sur la définition de la santé sexuelle défendue par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) – un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social
et illustre comment le système prostitueur bafoue chacune de ces exigences. À découvrir dans notre revue et sur ce site : Prostitution et Société numéro 179.