Comment les féministes de l’époque ont-elles réagi à la révolte de Saint-Nizier ? L’actuelle et douloureuse scission a bel et bien pris sa source lors de l’occupation des églises par des femmes prostituées, en 1975.
Au début des années 1970, la question de la prostitution est encore peu investie par le mouvement féministe. Elle n’est même, pour le gouvernement, qu’une simple affaire de police. Les derniers grands débats sur la question remontent à la fermeture des maisons closes en 1946, précédée par ceux qu’avait lancés l’Union Temporaire contre le Trafic des Êtres Humains de Marcelle Legrand Falco. Après quoi, la victoire du droit de vote, associée à la liberté retrouvée, est suivie d’un long silence. Marginalisée, la population prostituée est enterrée sous les clichés.
Lorsque des femmes prostituées appelant à « la grève » occupent l’église Saint-Nizier à Lyon pour protester contre la répression policière, les féministes sont prises de court. Mais l’événement est si exceptionnel qu’en cette ère post-68, où sont interrogées les questions de sexualité, de pouvoir et de place des femmes, elles en sentent immédiatement l’évidence.
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Certaines portées par l’enthousiasme, d’autres par le doute, elles décident d’apporter leur soutien. Un premier cercle de féministes lyonnaises organise des collectes, conçoit panneaux et banderoles et distribue des tracts. À Paris, Simone Iff, présidente du Planning Familial, décide d’être à leurs côtés, sans discussion et sans condition, « Nous sommes sœurs » déclare Kate Millett, qui débat de la question avec les féministes françaises Monique Wittig et Christine Delphy, dans un documentaire tourné en 1975[Kate Millett parle avec des féministes françaises, Collectif Videa]. Simone de Beauvoir, assez peu engagée dans le mouvement, viendra discuter avec les femmes à Paris, à l’église St-Bernard.
L’adhésion s’étend vite autour d’une idée-clé : la prostitution est une institution patriarcale et le paradigme de la condition sociale de toutes les femmes ; les femmes prostituées sont opprimées au même titre que les mères, les épouses et les travailleuses. Des tracts vont jusqu’à présenter le mouvement comme « symbole de la libération de toutes les femmes ». Il apparaît que lutter aux côtés des prostituées est en cohérence avec de grandes revendications féministes : pour l’amélioration des conditions socio-économiques qui les visent toutes, pour le droit à la contraception et à l’avortement, certaines ayant recours à la prostitution parce qu’elles n’ont pas les moyens d’élever un enfant.
Des parallèles sont établis entre mariage et prostitution. L’exploitation des prostituées par leur Mac est « scandaleuse comme est scandaleuse l’exploitation de n’importe quelle femme au foyer par son mari », écrivent « Les filles de joie en lutte ». Pour elles, la prostitution ne peut pas être « séparée du vécu des “femmes honnêtes” utilisées par le mariage pour les travaux ménagers et la reproduction des enfants » ; « La distance est-elle si grande entre le devoir conjugal et la passe ? » demandent-elles. « Dans les deux cas, on a acheté une femme ». (Les filles de joie en lutte, 1979.)
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