Sarah Benson, présidente de CAP International

814

Quand nous parlons avec les victimes, elles nous disent clairement que c’était du viol.

Sarah Benson est la Présidente de CAP International. 3 ans après sa création, les efforts de la coalition commencent à  porter leurs fruits, à  la fois au niveau de ses Etats membres (de 14 associations à  sa création, CAP est déjà  passée à  23, dans 18 pays) et au niveau des enjeux internationaux.

Annonce

Quels sont les objectifs de CAP International ?

La coalition pour l’abolition de la prostitution, est une organisation internationale qui met en réseau des associations qui militent pour que la prostitution soit reconnue pour ce qu’elle est : de l’exploitation. Ce qui est unique, c’est qu’elle réunit des associations qui connaissent les effets directs de la prostitution, de par leurs actions de terrain. Toutes ont une action dans la lutte contre la prostitution et soutiennent des milliers de personnes.
Nous voulons faire connaître au grand public ce que notre expérience de terrain nous enseigne, afin d’influencer positivement des politiques publiques qui permettent de réduire les méfaits de la prostitution et faire reculer le système prostitutionnel lui-même, qui est une exploitation et qui repose sur l’inégalité des sexes et la violence.
Nous construisons donc un réseau de soutien au plaidoyer pour les associations membres. Pour beaucoup entre elles, c’est quelque chose qu’il serait difficile de faire seules, car elles ont très peu de moyens. Et en même temps, ce sont elles qui connaissent le mieux l’impact du système prostitutionnel et des politiques qui le régissent sur les personnes les plus vulnérables.

Quels sont les effets 3 ans après la création de ce réseau ? La voix des abolitionnistes progresse-t-elle ?


CAP international est encore une association très jeune. Mais grâce au travail exceptionnel de sa minuscule équipe exécutive en lien avec les états membres, elle a déjà  accompli beaucoup. Son impact, avec des ressources très modestes est vraiment extraordinaire et elle a encore un grand potentiel de développement.
De façon générale, le mouvement international qui reconnaît la violence et les méfaits du commerce du sexe a en ce moment des représentantes très fortes, en particulier avec le mouvement des survivantes, que nous soutenons très fortement.
Il y a aujourd’hui des progrès de l’abolition dans plusieurs pays, dont la France et l’Irlande bien sùr avec les lois qui ont été adoptées. Mais tout n’est pas pour autant facile : nos ressources sont limitées, et ceux qui veulent rester au statu quo ou même favoriser la prostitution comme industrie sont très influents.
Le commerce du sexe représente des milliards et des milliards d’euros, et ceux qui en profitent n’ont pas envie de le voir disparaître, pas plus que ceux qui ont un intérêt idéologique à  promouvoir le « travail du sexe ».

Pourquoi l’utilisation du langage, au niveau international, est-elle un enjeu si important ?

Pour l’expliquer je donnerai l’exemple de Ruhama, association dont je suis la directrice en Irlande et qui existe depuis 30 ans. Nous n’utilisons pas le mot « prostituée », car nous reconnaissons que les personnes que nous accompagnons sont des femmes, des êtres humains, et que leur expérience de la prostitution n’est qu’un aspect de leur vie. Mais nous ne pouvons pas non plus utiliser le mot « travailleuse du sexe », parce que quand on regarde la définition internationale de ce qu’est un « travail digne », objectivement, la prostitution ne peut pas y correspondre.

Et quand on s’intéresse aux expériences vécues des personnes dans la prostitution, la réalité de l’activité prostitutionnelle elle-même recouvre pratiquement totalement la définition du harcèlement sexuel. Au regard de la violence prostitutionnelle, il est impossible objectivement de faire de la prostitution « un métier comme un autre. Lorsque nous parlons avec des survivantes de la prostitution, et avec des victimes de la traite des êtres humains à  des fins d’exploitation sexuelle, elles nous disent clairement que ce n’était pas du travail mais du viol, à  chaque fois. Nous ne devons pas utiliser des mots qui effacent la violence dont tant font l’expérience.

Quel est le problème aujourd’hui avec certaines agences de l’ONU ?

Aujourd’hui, certaines organisations onusiennes utilisent le langage du « travail du sexe ». Elles ont été l’objet d’un intense lobbying par des associations très bien financées, issues du mouvement de lutte contre le VIH/SIDA. Or nulle part ce langage n’est accepté dans les lois internationales, dans les conventions qui lient les Etats, qui font en revanche clairement référence à  l’exploitation qu’est la traite des êtres humains à  des fins d’exploitation sexuelle, mais également, dans la convention de 1949, à  la prostitution en général. Le Bureau international du travail est une des institutions onusiennes majeures qui a adopté ce langage du « travail du sexe » et normalise l’exploitation, en allant même récemment jusqu’à  définir la traite des êtres humains à  des fins d’exploitation sexuelle comme une forme de travail forcé !

En utilisant ce langage de « travail forcé » ces institutions peuvent affirmer que la majorité de la traite a pour objectif le travail forcé. Mais c’est faux, c’est en majorité de l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants ! Ils vont même jusqu’à  employer un nouveau terme « esclavage moderne », qui n’a aucune base légale internationale et n’est donc pas utile pour combattre l’exploitation sexuelle. Car sans les outils légaux pour définir ce dont on parle, comment soutenir les victimes et incriminer les responsables ?

Nous sommes extrêmement concernés par ces évolutions et c’est pourquoi nous faisons un intense plaidoyer pour que toutes les agences internationales n’utilisent que le langage officiellement approuvé. Lors de la dernière convention sur le statut des femmes à  New York (CSW), une délégation de CAP International a rencontré Antonion Guterres, le Secrétaire général de l’ONU, à  ce sujet.

Quelle est la position des syndicats sur le sujet ?

Certains de nos meilleurs relais se trouvent parmi les syndicats de défense des travailleurs/euses. E Irlande, ils nous ont largement soutenus lors du plaidoyer pour la loi. Ils reconnaissent clairement que la prostitution n’est pas un travail digne et, qu’en tant que mouvement de défense des travailleurs, ils ne peuvent pas revendiquer des « conditions de travail » sùres dans un environnement basé entièrement sur l’inégalité et le manque de sécurité des personnes.
Dans les mouvements qui s’auto-identifient comme syndicats de travailleurs du sexe, il y a une association étrange d’universitaires, et d’individus qui se disent travailleurs du sexe, mais il y a aussi des proxénètes dans ces organisations. Je ne connais aucun autre syndicat où patrons et travailleurs se côtoient.

A l’échelle internationale, comment le mouvement abolitionniste de la prostitution regarde-t-il le mouvement #metoo ?

Le mouvement #metoo a montré un énorme potentiel pour améliorer la possibilité pour les femmes de dénoncer le harcèlement sexuel et les agressions et donner de l’écho à  ce sujet.
Au début nous ne voyions pas beaucoup de référence à  la prostitution. Mais peu à  peu, le mouvement inclut la voix des survivantes de la prostitution. En Irlande, Rachel Moran est intervenue lors d’un rassemblement suite à  un procès pour viol, rassemblement qui faisait vraiment référence à  #metoo.
A l’ONU, également, lors de la CSW, Mira Sorvino, une des premières actrices hollywoodiennes à  avoir accusé publiquement Harvey Weinstein, a parlé avec force, et sans équivoque, du lien entre le mouvement #metoo est la prostitution. Je pense que ce type de déclaration est très positive, en solidarité avec des femmes et des filles qui n’ont pas toujours la possibilité de s’exprimer, mais qui, si elles le pouvaient, diraient certainement #metoo, à  propos de leur expérience dans la prostitution.

Quelle est la situation en Irlande, un an après le vote de la loi ?

Un an, c’est court. Nous n’avons pour l’instant pas vu un grand changement, car la loi n’a pas encore été beaucoup appliquée. La police est encore en train d’étudier comment appliquer au mieux le cadre législatif.
Aujourd’hui nous demandons que la loi soit mieux et plus appliquée, et nous regrettons qu’aucune campagne de sensibilisation n’ait été faite. Pour le moment, la plupart des gens en Irlande ne sont pas au courant de la nouvelle loi. Alors nous insistons là -dessus car le but premier de la loi est que la pénalisation des « clients » ait un effet normatif, que la charge pénale ne soit plus sur la personne prostituée, reconnue comme victime d’un système.

La police a par ailleurs montré un réel intérêt pour la question, dès avant le vote de la loi. Nous avons travaillé étroitement avec elle pour encourager un changement d’attitude vis à  vis des personnes prostituées. Il y a eu de bonnes évolutions au sein des forces de police, pour aller vers une attitude de soutien aux victimes, de les reconnaître comme étant du côté des personnes vulnérables. Ce sont des développements positifs qui viennent en soutien à  l’application de la loi. Maintenant, nous avons besoin de temps.