« Pour une victime de prostitution, il faut deux ans pour retrouver une santé épanouie. »

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victime-de-prostitution-vivo-morganeMorgane Collette, co-fondatrice de l’association Vivo, avec un hypnothérapeute et une juriste de l’association Vivo, s’est engagée tout entière dans un projet qui rassemble en un seul lieu l’accompagnement médical, juridique et thérapeutique des victimes de violences.

Un suivi sur mesure, axé sur des thérapies psycho-corporelles, permet une reconstruction souvent plus rapide qu’on ne croit. Fondée en 2021, Vivo a déjà largement fait la preuve de sa brûlante utilité.

Par quel cheminement en êtes-vous venue à Vivo ?

Je suis sage-femme, j’ai un diplôme de victimologie et j’ai été responsable d’une délégation au Mouvement du Nid. Je suis donc très sensibilisée à la question des violences faites aux femmes. De par mon métier, je suis entrée dans l’inti- mité des femmes et je sais à quel point les violences qu’elles subissent ont des conséquences graves et occasionnent des troubles et des douleurs. Le rôle des sage-femmes et des généralistes est important dans ce domaine ; on n’accom- pagne pas une grossesse, on ne place pas un stérilet de la même manière avec une femme victime.

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C’est à partir de ce constat que j’ai passé six ans à travailler sur ce projet : fonder une association qui assure une prise en charge complète des individu·es, au plan médical, juridique et thérapeutique. Nous rassemblons aujourd’hui une quinzaine de professionnel·les, gynécologue, sexologue, sage-femme, infirmière, médecin généraliste, sophrologue, psychothérapeute, hypnothérapeute, avocat·e, éducateur·rice, psychogénéalogiste…

Qui sont les personnes reçues ?

Entre mars et décembre 2020, nous avons accompagné 171 personnes, dont 160 femmes. Parmi elles, on compte 114 victimes de violences sexuelles, 29 de violences conjugales, 14 de prostitution, 7 de violences physiques… Toutes ont une mémoire traumatique et donc des angoisses ou une anxiété chronique.

Le gros des troubles s’exprime par le corps. Par exemple, la femme que je reçois n’enlève pas son manteau ; elle se frotte frénétiquement les doigts, ne me regarde pas dans les yeux. Une porte qui claque la fait sursau- ter… Nous en sommes aujourd’hui à 400 personnes en suivi, soit une grosse montée en puissance. Nous les accompagnons évidemment dans leur prise en charge médicale mais aussi, gratuitement, dans leur parcours juridique et judiciaire.

Victime de prostitution : quelles spécificités ?

La prostitution est une destruction sur tous les plans, physique, psychique, social, juridique. Elle engendre un excès de violences et ces violences sont inscrites corporellement. Le vagin, par exemple, porte toujours des marques. Je ne parle pas de déchirures ni de cicatrices, mais de contractures, de sécheresse. Elles ont subi un forçage permanent. C’est quelque chose dont on ne parle jamais. D’une façon générale, le corps se protège avec un panel hétéroclite de moyens. Cela peut être une anesthésie totale,

fréquente chez les victimes de prostitution. On commence la thérapie par l’auto-mas- sage. Elles disent « je ne sens rien ». Chez les victimes de violences, le cerveau saute l’étape de la sensation pour passer directement à l’émotion et à l’action.

Nous, nous pleurons par exemple. Pas elles… Une fois que leur corps recommence à sentir, c’est une explosion. Tout est multiplié par dix. Mais il y a aussi la réaction inverse : l’hyperesthésie. Ces personnes ont tout le temps mal, et partout. Nous commençons donc par un bilan médical et gynécologique, une rééducation périnéale avec des massages spécifiques, puis les orientons vers un travail en thérapie psycho-corporelle.

En quoi consistent concrètement ces thérapies psycho-corporelles ?

Le cerveau a enregistré des souvenirs, mais il les a enfouis. Elles disent « j’aimerais oublier ». Or, la seule manière d’avan- cer, c’est d’accepter, et donc de faire remonter ces souvenirs et de les travailler. Un pas important peut-être fait grâce à l’hyp- nose et à la sophrologie avec les victimes de prostitution et de traite. L’EMDR[[Thérapie qui traite les traumatismes par des mouvements oculaires.]] est très efficace. Ces outils, elles ne les connaissent pas et ils marchent très bien !

L’excès d’adrénaline provoqué par le stress post-traumatique entraîne un blocage du diaphragme avec des conséquences en chaîne : maux de ventre, troubles du transit… Beaucoup de professionnel·les de santé ne font pas ces liens. Le premier axe de travail est souvent centré sur la respiration avec des techniques de massage. Certaines choi- sissent de faire du yoga ou de la méditation. Elles le disent ensuite : « J’ai l’impression d’être légère ». Nous avons à disposition toute une panoplie d’exercices.

L’un, très intéressant, consiste à se placer face à face, le plus loin possible dans le cabinet, puis à avancer vers l’autre. La personne doit me regarder dans les yeux, marcher dans ma direction et s’arrêter quand pour elle la distance devient trop proche. Les victimes de traite ou de prostitution disent que la distance maximum est déjà trop près ou bien elles nous marchent presque dessus parce qu’elles n’ont plus aucune limite. On fait aussi le travail inverse. La thérapeute s’approche, elles ne savent pas dire stop et s’opposer à l’intrusion. La prise de conscience est toujours un moment difficile.

L’intérêt de ces thérapies psycho-corporelles, c’est que les femmes n’ont pas besoin de livrer le récit de ce qu’elles ont vécu. Le corps parle bien assez. Même avec un fossé culturel, même sans parler la même langue, comme c’est le cas pour des victimes de la traite, les résultats sont impressionnants ; et beaucoup plus rapides qu’on ne croit.

Avec un an de recul, l’expérience est donc concluante ?

Je pense à une jeune femme, qui a connu la prostitution, qui est arrivée avec une anesthésie corporelle totale et des cauchemars. Je lui ai proposé l’exercice dont j’ai parlé. La première fois, elle n’a pas pu avancer. « J’ai peur », m’a-t-elle dit. Que ressens-tu ? « Je ne sais pas ». Puis elle a dit qu’elle avait mal au ventre. Grâce aux massages thérapeutiques prescrits, elle a peu à peu mieux accepté d’être touchée. Nous avons fait un gros travail sur les limites.

La disparition des flashs et des cauchemars a été assez rapide. Le traitement médicamenteux qu’elle suivait avait des effets secondaires, nous avons réussi à le stopper. Elle a pu alors commencer un autre travail : apprendre à se faire plaisir. Maintenant, elle voit notre sexologue. Elle a un terrible manque de confiance en elle, une vision d’elle-même comme objet sexuel. Mais elle a déjà des clés même si elle a encore du mal à croire qu’elle puisse être heureuse. Et elle avance vite !

Pour retrouver une sexualité épanouie, un travail, en finir avec les douleurs, d’après notre expérience, il faut compter environ deux ans pour les victimes de prostitution et curieu- sement seulement six mois à un an pour les victimes de la traite, donc étrangères, qui présentent des ressources incroyables. Cette rapidité est encore un mystère pour nous.

Côté financements et projets d’avenir ?

Notre projet touche la santé, la justice, l’égalité femmes- hommes. Marlène Schiappa, quand elle était Secrétaire d’État aux droits des femmes, avait été emballée par le projet. La région Rhône-Alpes-Auvergne voudrait être partenaire, l’Agence régionale de santé peut aider des projets innovants, Mérieux[[La fondation Mérieux rassemble des initiatives contribuant à la santé des populations vulnérables.]] serait intéressé.

Nous avons besoin d’un local plus grand, l’idéal étant de regrouper toutes les associations concernées dans le même lieu. Le GAMS[[Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles.]] et le Forum des Réfugiés seraient partantes, tout comme le Mouvement du Nid avec qui nous voudrions monter des partenariats.

Trouver des financements, organiser des réunions, gérer les conventions avec les hôpitaux est un travail énorme. Je coordonne les soins, ce qui représente trois à quatre heures par patiente. Et je tiens à garder une part de travail clinique pour ne pas être déconnectée du terrain.

Pour le moment, à part la Maison des femmes de Seine-Saint-Denis, qui fait un excellent travail, en France il n’y a pratiquement rien. Nous avons beaucoup de demandes, jusqu’au Sénégal. Notamment sur les territoires ruraux, il faut développer ce type de maison de santé. Le manque est criant sur l’ensemble du territoire.

Le site de l’association Vivo

association.vivo.contact@gmail.com

Pour aller plus loin, ressources sur la santé des personnes en situation de prostitution

Numéro 179 / octobre – décembre 2012 La santé dégradée

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.