Le procès dit « du Carlton » s’est ouvert lundi 2 février 2015 au tribunal correctionnel de Lille pour une durée de trois semaines. Dominique Strauss Kahn, ancien directeur du FMI, accusé de proxénétisme aggravé, comparait aux côtés de 13 autres prévenus, des notables lillois (avocat, policier, entrepreneur…) et un proxénète belge notoire, Dodo la Saumure. Ils sont soupçonnés d’avoir organisé un vaste réseau de prostitution à Lille, Paris et Washington.
Le Mouvement du Nid[Le [Mouvement du Nid, association de soutien aux personnes prostituées, est aussi l’éditeur de la revue Prostitution et Société et de ce présent site.]] qui s’est constitué partie civile et qui accompagne quatre des jeunes femmes appelées à la barre des témoins, entend saisir l’occasion d’un tel procès pour mettre en lumière, loin du libertinage invoqué par la défense, la gravité des faits.
La pratique est courante mais soigneusement occultée. Dans les milieux d’affaires, rien de plus efficace pour aider à la signature d’un contrat ou truquer un marché qu’une femme offerte en cadeau. Pour une fois, en raison de la dimension du réseau de prostitution et de la notoriété des prévenus, le secret est éventé. Mais les avocats de la défense misent sur l’éternel argument du libertinage
et comptent renvoyer leurs accusateurs dans le périmètre du moralisme
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Sous le vernis libertin libertaire, la seule question pourtant valide est celle de la violence de ces réseaux et de leurs utilisateurs. Dans l’affaire du Carlton, tous les témoignages concordent pour montrer chez Dominique Strauss Kahn – qui n’est pas un cas exceptionnel – un goùt pour le carnage
et pour l’abattage
qui s’accommode mal des discours candides sur le libertinage
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Le Mouvement du Nid, qui accueille quotidiennement des personnes prostituées – y compris des « escortes » – est bien placé pour mesurer l’étendue des dégâts qu’elles subissent au plan physique et psychique : traumatismes, dépressions, sexualité détruite, tentatives de suicide… Le procès pourrait permettre de briser le silence sur ce pan ignoré d’une réalité que les notables concernés veulent présenter comme anodine ; et montrer les liens qui unissent « clients » et proxénètes, les seconds travaillant dur à organiser « l’offre » qui séduira les premiers…
Au delà, il pourrait faire apparaître l’espace prostitutionnel pour ce qu’il est : le lieu le plus emblématique du mépris des femmes. Les comportements décrits montrent en effet à quel point la prostituée est constituée, aux yeux du « client » comme du proxénète, comme la femme qu’il n’est pas nécessaire de respecter, celle avec qui l’on peut tout se permettre. Les mots de colis
ou de matos
utilisés pour les désigner sont assez clairs ; leur statut de trophée ou de récompense également. La prostitution, aussi « chic » soit-elle, dessine un monde archaïque : aux hommes les ordres et les décisions ; aux femmes qu’ils paient, le mutisme et la soumission. Un ordre ancien que l’on ne peut défendre d’une main en prétendant, de l’autre, œuvrer à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Ces pratiques du monde des affaires sont d’ailleurs une forme de « plafond de verre » qui a de quoi inquiéter. L’actuelle multiplication, en Europe, des contrats signés dans les bordels ou les lap dancings est bien le signe éclatant de la résistance farouche de ces milieux face à l’intégration des femmes. Dès 2008, la Fawcett Society de Londres s’alarmait de la croissante infiltration du monde du travail par l’industrie du sexe et de la culture sexiste des milieux d’affaires[- [Sexism and the city, Fawcett Society, 2008.]]. Il apparaissait que les femmes s’excluent d’elles-mêmes des réunions de travail organisées dans un environnement humiliant pour elles.
Souhaitons donc que le procès du Carlton soit l’occasion d’un degré supplémentaire dans la prise de conscience de l’impact de la prostitution sur l’image et le statut des femmes. Et osons rappeler aux juges l’existence d’excellents éléments capables de guider leur réflexion. A quoi bon disposer en effet de textes exemplaires – loi du 4 aoùt 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes avec son volet de lutte contre le système prostitutionnel, résolution du Parlement Européen du 26 février 2014 considérant la prostitution comme une atteinte aux droits humains et appelant à sanctionner les clients – si c’est pour en oublier le sens dans l’enceinte de nos tribunaux ?