Sheela Saravanan, anthropologue

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La maternité de substitution est fondée sur toutes les grandes inégalités mondiales.

Sheela Saravanan est anthropologue, chargée d’enseignement à  l’université d’Heidelberg en Allemagne. Elle est une des premières à  avoir effectué une recherche de terrain en Inde sur la maternité de substitution (GPA). Depuis, elle dénonce cette pratique à  la fois en termes de droits humains, de droits des femmes et des enfants et de lutte contre la marchandisation des êtres humains. Elle vient de publier un livre intituléA transnational Feminist View of Surogacy markets in India.

Quelles raisons vous ont amenée à  dénoncer la maternité de substitution ?

Au départ, les seules informations sur la maternité de substitution que j’avais étaient des reportages internationaux mais rien qui vienne d’une recherche de terrain. J’ai donc mené une recherche intitulée « la construction sociale et commerciale de la maternité de substitution en Inde ». La loi de 2008 y autorisait la maternité de substitution commerciale et cette économie était en plein boom. J’ai découvert deux types de cliniques : une où les femmes devaient rester dans des dortoirs, l’autre où elles pouvaient rentrer dans leurs familles mais étaient surveillées de très près par des agents. J’ai constaté que la maternité de substitution est une violation des droits humains. Elle aliène les femmes de l’expérience de la grossesse, de leur corps et de l’enfant à  naître. En outre, les inégalités sociales structurelles rendent les femmes indiennes plus vulnérables à  l’exploitation, à  la fois au sein du marché, par les praticiens, mais aussi par leurs maris et leurs familles. Dans ce « bazar de la GPA », les parties du corps des femmes, le lait maternel, l’activité maternante, le nombre d’enfants nés, le poids des bébés, le sexe de l’enfant et même la caste, le poids ou la religion sont tarifés. (Saravanan 2018: pg. 6).

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Quels problèmes concrets posait la maternité de substitution ?

Dans les cliniques, j’ai constaté que les femmes qui se trouvaient dans les dortoirs y étaient obligées. Leur alimentation, leurs mouvements, leurs activités, jusqu’à  la musique qu’elles écoutaient, étaient surveillés. Elles ne pouvaient entrer en contact avec leurs familles, leurs enfants, que dans un cadre très restreint. Les mères de substitution transféraient l’entièreté de leur droit à  disposer de leurs corps aux praticiens et aux parents d’intention pendant le temps de la grossesse. J’ai vu des violations flagrantes de l’éthique médicale. Jusqu’à  cinq embryons pouvaient être implantés dans l’utérus de la mère même si légalement la limite était fixée à  trois. Des avortements sélectifs étaient effectués si plus de deux embryons parvenaient à  se développer, ce qui favorisait la sélection du sexe. Invariablement, les accouchements s’effectuaient par césarienne. Les mères n’avaient pas de copie de leur contrat. Dans la clinique-dortoir, elles devaient allaiter et s’occuper des enfants en échange d’argent après la naissance, alors que dans une autre, les bébés leur étaient enlevés immédiatement après la naissance. Le directeur de la clinique craignait que voir les bébés crée de l’attachement maternel et du lien. De plus, les mères de substitution ne recevaient aucune aide psychologique et aucune assurance pour leur vie. Par ailleurs, l’approche de la maternité de substitution minore l’importance de la gestation dans le lien parental, en donnant la prééminence au lien génétique et à  la capacité d’acheter. La mère sous contrat est privée de toute émotion ou sentiment d’attachement. C’est du travail aliénant, de l’objectification, de la marchandisation et un déni de la subjectivité. La femme est considérée comme un objet, un contenant, qui est utilisé pour porter l’enfant, puis l’abandonner.

En quoi est-ce une marchandisation des femmes et des enfants ?

Le marché de la maternité de substitution transforme les services et capacités reproductives des femmes en produits. Or, même si on dit à  ces femmes que le bébé n’est pas le leur, même si certaines ne voient pas l’enfant né, elles cherchent à  avoir des informations et des contacts. Ce lien est dénié à  la fois par les cliniques et les parents d’intention. Et les enfants aussi sont marchandisés. Rien n’est payé à  la mère de substitution en cas de fausse couche, les enfants nés avec un handicap ou qui ne sont pas du sexe désiré se retrouvent à  l’orphelinat, vendus ou abandonnés dans les rues. Certains paiements sont calculés en fonction du poids du bébé, des négociations au rabais ont lieu en cas de grossesse gémellaire! C’est un véritable marché de l’enfant.
Le fait qu’on ne paie pas la fausse couche signifie qu’on ne paie pas pour la gestation mais pour l’enfant. Il existe aussi des signalements de trafics d’adolescentes et de femmes à  des fins de maternité de substitution. Dans la clinique que j’ai visitée, une femme était morte et beaucoup avaient de gros problèmes de santé. Un enfant handicapé avait été jeté à  la rue. Des femmes qui voulaient devenir mères de substitution mais souffraient d’anémie étaient bourrées de médicaments pour les rendre aptes à  la gestation.

Un autre aspect important du problème, ce sont les inégalités globales, et les schémas d’exploitation et de discrimination post-coloniales. La plupart des femmes en Inde viennent de familles pauvres et se retrouvent impliquées dans la maternité de substitution pour des raisons financières, et des motivations liées aux contraintes familiales. Ce qui entraîne plus d’aliénation et d’exploitation des femmes.

La maternité de substitution renforce les inégalités en ce qu’elle offre un plus large choix pour la reproduction uniquement pour les privilégiés, et au prix de la santé, de la liberté et de la vie d’autres (principalement des femmes moins aisées), tout en laissant contrôle et pouvoir aux agents et aux commanditaires, les parents d’intention.

La maternité de substitution a été interdite en Inde. Quelle est la situation aujourd’hui ?

En 2015, la maternité de substitution commerciale a été interdite suite à  la mort de mères porteuses et de batailles pour la garde des enfants, d’abandons d’enfants handicapés, de trafics de femmes et jeunes filles à  des fins de maternité. Des mères de substitution m’ont dit que le marché s’est depuis effondré. Les cliniques ont reçu moins de parents d’intention, la rémunération des mères est passée de 5 000 à  3 000 dollars et les femmes sont moins tentées de prendre des risques pour ce prix. Le trafic clandestin qui l’alimentait s’est également réduit.
Le projet de loi actuellement en discussion autorise une « GPA altruiste ». Tout comme la « GPA » commerciale, la vente et l’achat d’embryons humains et de gamètes seront interdits. Chaque cas devrait être examiné individuellement. Ce qui promet des ambiguïtés sur la notion « d’altruisme ». Selon le projet de loi actuel, seules des proches sont autorisées à  devenir mères de substitution en Inde.

Vous n’êtes donc pas favorable à  ce que l’on appelle ici la « GPA éthique » ?

Non, car il y aura toujours des zones floues et la maternité de substitution commerciale sera pratiquée par certains sous couvert de cette version « altruiste ». On sait que la famille est aussi un lieu d’exploitation. Récemment une femme indienne est morte en couches après avoir été forcée par sa famille à  devenir mère de substitution pour sa belle-soeur. En fait, la maternité de substitution promeut l’hégémonie d’une pensée nataliste, patriarcale, raciste et validiste. Elle est fondée sur les rapports de classe et ce sont les femmes les plus pauvres qui deviennent les reproductrices pour les riches.

Son autorisation est fondée sur le postulat que le marché peut être régularisé. Mais, comme c’est le cas dans d’autres marchés similaires, comme ceux de la drogue, des travailleuses domestiques ou de la prostitution, celui-ci montre de piètres capacités à  la régularisation.
En Inde la prostitution est légale. En conséquence, il y a un immense trafic clandestin qui alimente le marché de la prostitution. S’il est interdit d’acheter du sexe, la femme qui est victime de trafic et d’exploitation peut se plaindre et revendiquer ses droits. La loi est de son côté. Tandis qu’avec la légalisation, les femmes doivent prouver qu’elles sont forcées à  la prostitution.
En fait, la situation est totalement hors de contrôle en Inde. Quand le marché de la maternité de substitution a été rendu légal, les canaux utilisés pour l’exploitation des jeunes filles de zones rurales pauvres de l’ouest de l’Inde vers les grandes villes à  des fins de prostitution ou de travail domestique ont été utilisés pour la maternité de substitution. C’est devenu une nouvelle forme de business lucratif pour les exploiteurs. C’est ce qui s’est produit lorsque des jeunes filles ont été enlevées dans des zones pauvres et enfermées dans des cliniques pour y devenir mères porteuses. C’est arrivé pendant la légalisation. En conséquence, il faut une interdiction totale. L’Inde doit suivre l’exemple de la Suède.

*Une vision féministe transnationale des marchés de la maternité de substitution en Inde

Cette interview a été réalisée dans le cadre de la préparation du colloque organisé par le CoRP, CQFD Lesbiennes féministes, la Cadac et l’Assemblée des femmes le 22 septembre dernier. La version intégrale est disponible ici https://collectifcorp.files.wordpress.com/2018/08/sheelasaravanan-itv1.pdf