En butte à une situation de plus en plus ingérable, certains de nos voisins montrent une indécision et des changements de cap qui sont l’aveu d’un profond malaise. La Suisse, par exemple, n’a rien de l’eldorado
tant vanté par les médias! En Suisse, la règlementation de la prostitution relève des cantons. Alors que la prostitution prolifère dans les appartements comme sur Internet et que les mafieux se disputent le gâteau, les réformes succèdent aux réformes, apparemment sans résultat.
Une panique permanente pousse à une réglementation et à des contrôles croissants. Les fermetures de bordels pour infraction aux règles commerciales et les interdictions se multiplient : par exemple celle d’embaucher des danseuses
de pays extra-européens, suite à l’abrogation du permis L
, un pseudo statut d’artiste
cher aux tenanciers et qui faisait en réalité le bonheur des trafiquants.
A Genève, on déplore qu’il existe aujourd’hui 140 « salons de massage » et 40 agences d' »escortes », soit plus que le nombre de pharmacies[[RTS Info, 11/01/2016.]]. La presse relève par ailleurs un phénomène en explosion
: la nouvelle tendance chez les jeunes hommes de 16 à 22 ans de finir les soirées chez les professionnelles
.
Face à cette situation, le canton de Zurich offre un parfait exemple de la paralysie qui saisit le pays. En 2013, il met en place le énième règlement sur la prostitution. L’interdiction de la prostitution de rue dans le centre ville s’accompagne de la création dessex box en zone industrielle,drive in prostitutionnels mi-parkings mi-toilettes publiques. Les « salons » et les femmes prostituées doivent demander une autorisation. En 2016, ces dernières se plaignent de la répression policière et face à un règlement d’interdiction déjà caduque, une députée socialiste lance « l’idée » d’une maison close municipale[[Ce qui rappelle le projet Isatis de la ville de Liège, vite tombé à l’eau. À lire sur ce site : art401.]], actuellement à l’étude.
La quadrature du cercle prostitutionnel
La Suisse se trouve donc face à la gageure habituelle : protéger l’espace public de la prostitution (les pétitions de riverains se multiplient) mais défendre une activité commerciale
particulièrement lucrative, pour laquelle la demande est là
.
Les constats navrés restent sans réponse : situation désastreuse des personnes prostituées livrées aux violences et à l’exploitation ; pression et concurrence croissantes qui les poussent à accepter de plus en plus de pratiques à risques[[RTS Info, 21/10/2014. Pratiques à risque qui ne sont pas dues à la pénalisation des « clients »…]] .
Des idées sont lancées : rétablir l’infraction de proxénétisme passif, abrogé dans les années 1980, ne plus encourager la prostitution! Velléités non suivies d’effets.
Nul ne s’avise jamais de s’attaquer à la cause essentielle. Ainsi, en juin 2015, le Conseil Fédéral a décidé de ne surtout pas interdire aux « clients » de recourir à ces services
! De leur côté, en vertu de leur droit à la liberté économique
, les gérants de « salons » et leurs avocats bloquent la situation en saisissant les tribunaux dès qu’ils se sentent menacés par des réglementations plus strictes et des menaces de contrôle de police.
Dans un pays où des élus vont jusqu’à déplorer[[20 minutes Genève, 29/11/15.]] que soit stigmatisé
le travail du sexe
(!), l’exploitation prostitutionnelle a donc de beaux jours devant elle. Et tant pis pour celles qui en payent le prix.
Illustrations : Carla Marangoni, 2006.
Cet article est paru dans le numéro 188 de notre revue,Prostitution et Société. Pour nous soutenir et nous permettre de continuer à paraître, abonnez-vous!