Internet et prostitution. Le commencement de la fin de l’impunité?

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Au terme d’efforts menés conjointement par Républicains et Démocrates, le Congrès américain a adopté en mars 2018 la loi SESTA (Stop Enabling Sex Traffickers Act) qui donne aux victimes de la traite à  des fins sexuelles la possibilité de poursuivre en justice des sites Internet ayant publié des annonces postées par leurs proxénètes et trafiquants. Ce que ses adversaires ont appelé un jour sombre pour l’Internet a été célébré par les abolitionnistes comme une victoire décisive.

Avec le vote favorable du sénat américain le 21 mars 2018, un mois après la Chambre des représentants, le Congrès a donc adopté le projet de loi SESTA qui fait couler beaucoup d’encre Outre-Atlantique. Il s’agit en effet d’une profonde entaille au texte tenu pour quasi sacré par beaucoup de GAFA, le Communications Decency Act de 1996 qui garantissait la confortable situation juridique des fournisseurs d’accès Internet, tenus, en tant qu’intermédiaires, pour non responsables des contenus qu’ils publiaient. Le SESTA renverse donc la donne en permettant aux victimes de poursuivre en justice les sites et réseaux sociaux qui sciemment ou imprudemment ont pu faciliter la traite à  des fins sexuelles. En un mot, il met fin à  leur impunité.

A l’initiative du sénateur de l’Ohio Rob Portman, et porté par les deux camps politiques, le nouveau texte a été forgé suite aux innombrables affaires de mineures exploitées par des proxénètes grâce à  des annonces mises en ligne, notamment sur le site Backpage, 2e site d’annonces au plan mondial. Le film I am Jane Doe, de Mary Mazzio, qui a ému l’opinion en retraçant le désespérant combat juridique de certaines de ces victimes, est aussi pour quelque chose dans le vote de la loi.

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Le débat a été houleux. Fortes de leurs puissantes capacités de lobbying, de nombreuses compagnies de la Silicon Valley sont montées au créneau, ou ont agi dans l’ombre, pour défendre la liberté d’expression. Facebook, déjà  empêtré dans les accusations concernant les influences russes sur la campagne présidentielle américaine, a toutefois été obligé d’adoucir son discours vis à  vis du projet de loi et d’exprimer une adhésion que l’on peut penser de façade.

De même, les lobbyistes de l’industrie du sexe ont manifesté leur vive opposition au texte, déplorant une confusion entre « travail du sexe » et « traite des êtres humains » qui ne peut que nuire à  leurs affaires. Et des « sex workers » se sont dit hostiles à  une loi qui pourrait mettre un terme à  leur « liberté » de se vendre sur Internet : un droit qui leur semble apparemment plus important que celui des jeunes victimes d’échapper à  leurs proxénètes.

Pendant ce temps, en France, nous attendons que des mesures soient prises face à  l’impunité actuelle de certains sites Internet, dont l’un, très connu, est presque systématiquement cité dans les procès de proxénétisme sur mineures. En vain pour le moment.

Photo : 55thstreet.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.