« Une fille facile », ou un film facile ?

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Le « buzz » entourant la sortie d’« Une fille facile », film primé à Cannes et sorti en salles fin aoùt, reflète bien notre époque : un bel exercice de com’, un fond nauséabond.

Le synopsis, tel que décrit par les Inrocks, donne le ton : « Naïma (Zahia Dehar) est une femme libre et émancipée qui vend ses charmes à des milliardaires. Sa cousine, fascinée par ce mode de vie, souhaite se consacrer à la cuisine ». Pour être une femme émancipée, il faudrait vendre son corps ? Les autres seraient de pauvres ménagères condamnées à leurs fourneaux ?
Les innombrables articles et interviews dont a bénéficié le film mettent en évidence le ressort idéologique d’« Une fille facile » : une vision « glamour » et glorifiée de la prostitution sous couvert de progressisme, loin de la réalité de la violence de la marchandisation des femmes.

Tous les ingrédients sont là :
– Une réalisatrice, Rebecca Zlotowski, revendiquant un engagement féministe, mais qui semble méconnaître les schémas de domination et d’exploitation socioéconomiques, raciaux et de sexe qui font les réalités de la prostitution en France : 93 % de femmes étrangères, pour la plupart victimes de trafic d’êtres humains, surreprésentation des femmes issues des minorités, migrantes, précaires.
– Un personnage de femme prostituée, libre et émancipée, imaginée par la réalisa-trice et inspirée par Zahia Dehar qui l’incarne, complètement hors-sol. Peu importe que dans la vraie vie, Zahia Dehar soit arrivée en France à l’âge de 10 ans, sans parler la langue, et ait commencé à être vendue à des hommes à 16 ans à peine.
À l’heure de l’ultralibéralisme triomphant, tout ne serait que question de choix individuel. La contrainte autre que physique n’existerait pas…

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Une réception du film unanime… dans son aveuglement

Les Inrocks en ont fait leur coup de cœur, Télérama, Bruthttps://www.facebook.com/watch/?v=2181785721903019, [Mademoizelle, Konbini … Tout le monde adore. Le film « s’attaquerait aux clichés »… mais lesquels ? Car ces clichés-là sont récurrents au cinéma : « Jeune et jolie », « Belle de jour», «Pretty woman», «journal d’une call-girl», la fiction accumule les exemples de ce fantasme d’une prostitution qui finirait par émanciper celles que, dans la réalité elle opprime.
Les journaux vont plus loin. En tentant de montrer – avec la réalisatrice et l’actrice dans des interviews accordées et d’ailleurs largement relayées par le STRASS (Syndicat du travail sexuel) – qu’en réalité, la prostitution était le comble du féminisme, la réponse ultime à #metoo… la presse sombre en réalité dans la « misogynie de papa ». Ainsi, Paris-Match qui conclut sa critique par la formule suivante :
« Étude de la beauté et de la sexualité comme armes de progression sociale en milieu tempéré, ce film de vacances gorgé de désir est une remise à zéro des compteurs pour retrouver le goùt des premières fois et l’envie d’avoir envie. » Merci à Paris-Match, grâce à qui on en sait plus sur les armes de progression sociale des femmes.

« L’effet Zahia »

Malheureusement, les conséquences de ce genre de film vont bien au-delà de la perte irréversible d’1 h 32 de notre vie : « l’effet Zahia», érigée comme une icône féministe, fait d’elle un modèle de réussite pourcertaines adolescentes.
« C’est une jeune femme qui a une véritable réussite sociale et matérielle à son niveau à elle », explique Raphaéˆlle Wach, magistrate, spécialiste du proxénétisme sur mineurs au parquet de Créteil. « Pour les adolescentes de certains milieux, la prostitution peut représenter un ascenseur social, là où les autres formes d’ascenseurs sociaux n’existent plus tellement dans notre société ».
Les affaires de proxénétisme sur mineur·es se multiplient. Des réseaux très lucratifs pour les proxénètes : l’exploitation d’une jeune prostituée peut rapporter jusqu’à 1 000 € par jour. Une réalité sans strass ni paillette qui, elle, n’a pas droit aux marches du festival de Cannes !