Bernard Lemettre, invité par notre délégation du Mouvement du Nid du Loiret, rencontre le public pour des échanges et une dédicace de son livre, 1357.
Merci à tous les spectateurs et spectatrices venus entendre notre invité. Plus d’une soixantaine de personnes étaient présents lors de cette soirée. Ci-dessous, nous publions une réaction de M. Gérard Sustrac, président du Réseau Forum des droits humains.
Prostitution : un témoin parle, par Gérard Sustrac
Le témoignage de Bernard Lemettre est lié à des décennies d’implication de sa part en faveur des personnes prostituées afin de les aider à se repositionner dans une vie normale, en les accompagnant pour accepter une enfance et une jeunesse souvent douloureuse et violente, et à sortir d’une vie comme prostituée qui les conduit à se dépersonnaliser complètement pour un gain financier modeste dont la plus grande partie revient aux intermédiaires, notamment le proxénète. Ce sont d’ailleurs souvent ces critères de relations familiales difficiles qui sont retenus en priorité par les proxénètes et autres intermédiaires pour attirer les femmes vers la « mirifique » prostitution, l’approche souriante et conviviale qu’ils développent masquant en fait une personnalité dénuée de tout scrupule.
Le fait que le Brésil, où Bernard a passé 3 ans (1965-1967), ait contribué à le sensibiliser aux problèmes de précarité, de pauvreté et de prostitution et que le diaconat, dont il est membre depuis la fin des années 1960, ait contribué à enraciner son dévouement pour les autres, ne saurait masquer ces décennies durant lesquelles, en lien étroit avec le Mouvement du Nid, dont il a été plusieurs années dirigeant et est toujours responsable de la section Nord – Pas-de-Calais qu’il a lancée en 1975 et dans laquelle il a concrétisé une permanence hebdomadaire d’accueil et de dialogue, il est parvenu à sortir nombre de personnes prostituées d’une vie de violence, non pas en leur disant ce qu’elles avaient à faire pour s’en sortir, mais en facilitant l’émergence de leur témoignage d’un passé difficile et d’un désir d’autre choix de vie en s’appuyant sur une écoute de proximité amicale. Certes, le Mouvement du Nid comprend des dizaines de militants, tous motivés et ayant suivi des formations pour les aider dans cette approche humaine difficile, mais comment oublier les décennies de pratique de Bernard qui ont, en quelque sorte, culminé avec les témoignages de Jade, Mounia, Sonia et F dans l’affaire du Carlton de Lille, où toutes, avec Bernard, se sont retrouvées à témoigner au tribunal. Ainsi, même si nous parlons d’une implication personnelle très engagée de Bernard, ce sont aussi et souvent de témoignages concrets et forts dont il parle dans son livre, dont le titre simple « Je veux juste qu’elles s’en sortent » (Michel Lafon, 2015), souligne la force de proximité et la simplicité de son engagement.
Aider une personne prostituée à s’en sortir, cela signifie d’abord prendre le temps de la rencontre, de l’écoute, de l’accompagnement, dans un climat, de fait très éloigné d’une vie « normale », mais dont la personne prostituée met très longtemps à accepter progressivement de parler. Elle se trouve en fait impliquée dans une filière, qui, selon le cas, outre le ou les proxénètes, peut impliquer des membres de sa famille, des voisins incitateurs, des « amis », de fait toutes les personnes qui agissent d’une façon ou d’une autre dans la filière. La personne prostituée se trouve ainsi embringuée dans un « partenariat » obligé qui a aussi de lourdes conséquences en termes financiers, souvent exprimés sous forme de frais à rembourser (déplacements, locations, alimentation…).
De fait, personne n’aspire à vendre son corps et c’est la société, dans son ensemble qui devrait en être convaincue. Les personnes prostituées sont avant tout des personnes humaines qu’il convient d’aider à la fois à sortir de cette situation de violence et de manipulation, mais aussi à progressivement accepter le douloureux démarrage de vie qu’elles ont vécu, un cheminement qui a facilité leur entrée dans la prostitution. Mais, il s’agit aussi de convaincre la société, femmes et hommes, que les personnes prostituées ne relèvent pas d’une mise à l’écart dont on préfère souvent ne pas parler, et que la prostitution, qui existe depuis des millénaires, ne doit pas être considérée comme une fatalité inéluctable. C’est d’ailleurs une des raisons du développement des interventions du Mouvement du Nid dans les classes, afin de sensibiliser un très grand nombre de jeunes à ces questions. C’est aussi la raison de la pression qu’il exerce pour faire adopter des législations pertinentes sur ce thème.
Un grand merci à Bernard pour le témoignage d’une vie entière consacrée à aider les personnes prostituées à regagner progressivement une vie autonome et aux éclairages qu’il apporte sur ce sujet à notre société. Le chemin est encore long.