La conversation des sexes

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conversation des sexesLa conversation des sexes. Voilà un ouvrage exigeant, une mine d’or pour la réflexion même si les quelques passages consacrés à la prostitution laissent un goût amer.

Manon Garcia, autrice de On ne naît pas soumise, on le devient, s’emploie avec La conversation des sexes, et c’est tonifiant, à renverser le mode de pensée qui fonde le Code Pénal et les mentalités ; des mentalités qui précisément nourrissent la complaisance sociale vis-à-vis d’un «consentement» que l’argent suffirait à garantir.

Alors que le «elle a consenti» de l’agresseur suffit souvent à le disculper, Manon Garcia liquide les euphémismes qui légitiment la culture du viol : «Si le critère de légitimité des relations sexuelles est qu’elles soient absolument et positive- ment consenties, il y a fort à parier qu’une part considérable du sexe quotidien soit illégitime : c’est le sexe voulu plutôt que le sexe non consenti qui semble faire figure d’exception», assène-t-elle.

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«Il n’est pas certain que les femmes puissent véritablement consentir à quoi que ce soit, notamment parce que, pour pouvoir véritablement consentir, il faut pouvoir ne pas consentir et que le patriarcat prive souvent les femmes de cette possibilité. »

Revisitant un héritage philosophique, de Stuart Mill à Michel Foucault ; féministe, de Carol Pateman à Catharine Mac Kinnon ; juridique avec Muriel Fabre-Magnan, Manon Garcia montre l’ambivalence du concept censé définir la frontière entre le viol et la « bonne » sexualité. Entre l’idée négative de ne pas empêcher et la volonté positive d’approuver, le terme est l’aveu d’une situation contraignante. Façonné par le patriarcat, il induit l’idée de « l’homme chasseur » et de « la femme proie ».

Manon Garcia entreprend donc de disséquer le consentement dans le mariage aussi bien que dans les contrats de BDSM[[

Bondage et Discipline, Domination et Soumission, Sadomasochisme.

]] : dans le mariage, un acte de soumission puisque traditionnellement, «consentir à se marier signifiait pour une femme renoncer définitivement au droit de consentir ou non à des rapports sexuels avec son mari. » Dans le BDSM, un paravent sulfureux derrière lequel se cacherait la domination masculine la plus traditionnelle.

A lire également : les pièges du consentement, de Catherine Le Magueresse

Conversation des sexes et prostitution : on reste sans voix

Prenant acte de la particularité du consentement sexuel, différent du consentement à prêter son vélo, la philosophe s’arrête un instant sur la prostitution. On reste alors sans voix face à un argumentaire appuyé sur les propos indigents de Martha Nussbaum [[

Philosophe américaine, a publié en 1998 un article intitulé Whether from reason or prejudice : taking money for bodily services.

]] quand ceux de Catharine Mac Kinnon, largement citée par ailleurs, auraient utilement contribué à secouer le cocotier. Le choix de Nussbaum aboutit à laisser croire que la condamnation de la prostitution ne peut relever que d’une conception moralisante de la sexualité en osant assimiler la pénétration par un instrument médical et par un prostitueur!

Par ailleurs, Manon Garcia laisse entendre qu’en France «il est interdit de consentir à avoir des rapports sexuels en échange d’argent ». Confusion regrettable puisque la personne prostituée n’est passible d’aucune condamnation. C’est le « client » prostitueur qui se voit interdire l’achat de sexe, ce qui n’est pas la même chose.

Restent des pistes de réflexion très utiles dans La converstation des sexes : la distinction entre « violations sexuelles » et « violences sexuelles », les questionnements sur le contenu d’un « accord » pour un rapport sexuel. Implique-t-il d’être d’accord «pour avoir n’importe quel type de rapport sexuel avec cette personne ?». Et que faire « des situations où un·e partenaire modifie complètement son attitude une fois que le rapport sexuel commence ? ».

Manon Garcia propose pour finir d’ouvrir une nouvelle voie pour le «consentir» : «celle du sentir ensemble », « du consentement comme accord et comme respect de l’autre». Comment ne pas y souscrire ? Et comment alors ne pas remettre fondamentalement en cause le système prostitueur ?

Penser des relations amoureuses et sexuelles qui ne soient pas fondées sur des normes sociales sexistes et inégalitaires, est un chantier inséparable de celui de « l’éducation sexuelle », éducation non seulement à l’égalité de genre mais aussi à la sexualité.

La conversation des sexes, de Manon Garcia, Editions Climats, 2021, 300 pages

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.