Le 24 Juin 2012, Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, affirmait la volonté de son gouvernement de faire disparaître la prostitution en pénalisant le client. Elle relançait ainsi un débat entre abolitionnistes et réglementaristes dont le magazine «l’Histoire» de janvier 2013 retrace les principales étapes.
Abondamment illustré, pourvu d’un appareil critique de qualité : chronologie, bibliographie, l’Histoire alterne, selon une politique éditoriale bien rodée, articles de fond et contributions plus anecdotiques. Ces derniers permettent d’arpenter, avec Casque d’Or[[«Les trottoirs de la Goutte d’Or», Alexandre Frondizi.]], dont la photo figure bien en évidence, les trottoirs ou rubans
du quartier parisien de la Goutte d’Or à la Belle Époque, ou, plus près de nous, de franchir le seuil du «Sphinx», le bordel le plus huppé d’Alger avant la décolonisation[[«Visite au Sphynx d’Alger», Christelle Taraud.]].
Le dossier s’ouvre sur une synthèse au titre accrocheur : «Un mal nécessaire?», signée d’Alain Corbin, historien spécialiste du 19ème siècle et auteur de la somme inégalée Les filles de noces[[Alain Corbin, Les Filles de noces. Misère sexuelle et prostitution (XIXème siècle), Flammarion, 1978.]]. Il signale la cohérence , principalement au XIXème siècle, de la politique française en matière de gestion
et de répression de la vénalité sexuelle
. Cette politique, si on en croit l’historien, s’organise autour de motif de la peur du désordre ; la personne prostituée apparaissant alors comme l’instrument du désordre sanitaire, moral et social qui gangrène une France éprise d’ordre et de respectabilité.
Dans cette société d’ordre
, qui réglemente la prostitution et l’encaserne, quelques voix dissonantes, de plus en plus fortes cependant au cours du siècle, s’élèvent.
C’est le sujet du deuxième article, signé de l’historienne Yannick Ripa : « Comment on a aboli les maisons closes » qui retrace les grandes étapes de la marche vers l’abolition en 1946. Si certaines grandes figures, comme celle de la féministe anglaise Joséphine Butler sont bien connues, l’auteure s’attache particulièrement à un homme, le journaliste républicain Yves Guyot.
Sa parole, bien solitaire, se manifeste, dès les années 1870, à la fois contre le réglementarisme et la toute puissante police des moeurs, accusée de maltraitance et de complicité avec les proxénètes. Plus surprenant, cette position humaniste fait de lui un abolitionniste «libéral
comme se qualifie le courant qu’il initie. Il déclare ainsi que la femme a le droit de disposer d’elle-même, de sa beauté et de son corps
. La défense de la liberté individuelle, au cœur du combat de ce féministe authentique, l’amène donc à condamner le réglementarisme mais non la prostitution. Dès lors, affirme Yannick Ripa, il se situe en opposition avec le courant «historique» de Joséphine Butler, qui condamne réglementarisme et prostitution au nom d’une morale qualifiée de puritaine.
Cependant, devant l’ampleur , à la fin du XIXème siècle, d’un nouveau phénomène, celui de la « traite des Blanches » (qui déplace des jeunes filles, souvent mineures, d’Europe aux pays neufs que sont les Etats-Unis et l’Afrique du Sud ), des dissensions s’estompent et la prostitution cesse de pouvoir être envisagée comme un libre choix
.
Des débats d’aujourd’hui rend compte un article de la journaliste Clara Dupont-Monod, en dressant un état des lieux des politiques européennes contemporaines en matière de prostitution. Le sujet est bien connu des lecteurs de Prostitution et Société et met en perspective les récentes avancées dans les pays nordiques, moteurs quant à la pénalisation des prostitueurs, et le flou juridique qui persiste en France, où la juridiction, on le sait, n’est ni abolitionniste ni réglementariste.
D’une lecture aisée malgré l’approche parfois universitaire, le dossier apporte des éclairages brefs mais bien équilibrés sur les thèmes traités et n’hésite pas à aborder un sujet longtemps « tabou », celui de la prostitution masculine[[«Du côté des garçons», Régis Revenir.]], dans un article qui souffre, malheureusement, d’une certaine pauvreté de sources.