Appréhender la prostitution comme un système social, et non comme la simple démarche individuelle d’une personne prostituée livrant son corps aux plaisirs d’autrui contre une rémunération
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Alors que dans la réalité, la « prostitution » implique au moins deux acteurs, et très souvent trois – la personne prostituée, le client prostitueur et le proxénète -, dans l’imaginaire collectif, le terme « prostitution » renvoie d’abord à la seule personne prostituée.
On retrouve d’ailleurs cette focalisation sur la personne prostituée dans les définitions données par les dictionnaires. Ainsi, selon le dictionnaire de la langue française Le Robert, la prostitution se définit comme « le fait de livrer son corps aux plaisirs sexuels d’autrui, pour de l’argent et d’en faire métier ». La définition donnée par le dictionnaire Larousse met aussi l’accent sur la personne prostituée en définissant la prostitution comme un « acte par lequel une personne consent habituellement à pratiquer des rapports sexuels avec un nombre indéterminé d’autres personnes moyennant rémunération. »
La « prostitution » pourrait pourtant tout aussi bien être définie comme le fait d’offrir à autrui une rémunération afin d’en obtenir un rapport sexuel, ou comme le fait d’acheter un rapport sexuel à autrui. Cette définition mettrait ainsi en avant le client prostitueur.
La prostitution pourrait encore être définie comme le fait de mettre le corps humain et la sexualité d’autrui dans le champ du marché, ce qui mettrait en exergue le rôle du proxénète mais aussi de nos sociétés qui, fondamentalement, n’ont pas remis en cause le fait que le corps humain et la sexualité entrent dans le domaine marchand.
C’est pour contrer cette focalisation abusive sur la personne prostituée et inclure les proxénètes, les clients et la société dans l’image que chacun se fait de la « prostitution » que les abolitionnistes préfèrent parler de « système prostitutionnel ». Ce terme inclut donc les proxénètes, les clients prostitueurs, les personnes prostituées et la société.
Quant au terme « système prostitueur », il n’inclut que les acteurs de cette double domination patriarcale et marchande que sont les proxénètes, les clients prostitueurs et les Etats lorsqu’ils en sont complices. Le système prostitutionnel est donc constitué, d’une part, de proxénètes et clients prostitueurs, et d’autre part, de personnes prostituées.
En droit, c’est aussi la première définition de la prostitution, ne mettant en avant que la personne prostituée, qui est généralement retenue. En conséquence, c’est d’abord la personne prostituée, et non le client prostitueur, qui est appréhendée par le droit. Dans le cadre du délit de racolage, on constate d’ailleurs que même lorsque l’interprétation des textes permettrait aisément l’appréhension des clients prostitueurs, seules les personnes prostituées sont poursuivies. C’est notamment le cas en France où la définition du racolage passif pourrait tout à fait être appliquée au client prostitueur. Le Code pénal définit en effet le racolage comme « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération ». Malgré cette définition ouverte le délit de racolage n’est jamais appliqué contre les clients prostitueurs.
Le système prostitueur tire évidemment profit de ces représentations de la prostitution centrées sur la personne prostituée car elles ne font pas apparaître, ou seulement au deuxième plan, les clients prostitueurs et les proxénètes. En insistant sur la démarche individuelle de la prostituée qui se prostitue ou qui livre son corps, cette vision de la prostitution écarte ainsi toute analyse de la prostitution en tant que système social et marchand.
Les défenseurs du système prostitueur utilisent d’ailleurs cette stratégie lorsqu’ils qualifient les abolitionnistes et féministes de « putophobes ». En effet, alors que les abolitionnistes s’attaquent aux proxénètes et aux clients prostitueurs, et non aux personnes prostituées, les accuser d’avoir littéralement la haine des personnes prostituées contribue à écarter du débat proxénètes et clients prostitueurs.