Les associations de terrain accompagnant les personnes en situation de prostitution prennent acte de l’arrêt de la CEDH du 31 août 2023 jugeant recevable la requête contre l’interdiction d’achat d’actes sexuels et attendent une décision rejetant le bien-fondé de cette requête.
Le 6 décembre 2019, une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme a été introduite, afin de dénoncer la pénalisation des acheteurs d’actes sexuels instaurée par la loi n°2016-444 du 13 avril 2016. Cette saisine de la CEDH s’inscrit dans une démarche militante d’opposition à la loi visant à lutter contre le système prostitutionnel, dans la continuité de la question prioritaire de constitutionnalité rejetée par le Conseil constitutionnel en 2019.
Ce 31 août, la CEDH a rendu un arrêt jugeant la requête recevable tout en précisant que cette décision ne préjuge pas du bien-fondé des requêtes sur lequel la Cour se prononcera dans un prochain arrêt. « Il n’y a rien de nouveau sur le fond, seulement la confirmation que la CEDH se prononcera sur la requête après examen de possibles motifs d’irrecevabilité. Cette décision ne constitue absolument pas une remise en cause de la loi de 2016 et ne présume en rien de la future décision de la Cour sur le fond de la requête elle-même » explique Jonathan Machler, directeur de CAP International.
Nous, associations, sommes au contact direct de plusieurs milliers de personnes prostituées, qui nous font part de leurs difficultés, de leurs besoins. Leur expérience constitue la base de notre action associative et militante. Nos associations ont choisi d’être parties intervenantes dans ce dossier et espèrent que la Cour sera attentive à nos observations. Pour s’inscrire dans une démarche réellement protectrice des victimes de violences sexistes et sexuelles, elle ne peut répondre favorablement à cette requête.
« Il est évident que le modèle abolitionniste est le plus protecteur pour les personnes victimes du système prostitueur. En tant qu’actrices de terrain, nous constatons au quotidien que la prostitution touche majoritairement les plus vulnérables, les plus précaires, les personnes ayant déjà subi des violences sexistes et sexuelles. Les traumatismes générés par la prostitution sont profonds, durables. Être en situation de prostitution ne relève ni d’un choix individuel, ni d’une sexualité, ni d’une « expérience », mais s’insère dans un système intrinsèquement violent » explique Danielle Bousquet, présidente de la FNCIDFF.
« La protection des droits fondamentaux des personnes prostituées ne passera jamais par l’organisation de l’impunité des agresseurs que sont les “clients” de la prostitution et par la reconnaissance de leur droit à imposer un acte sexuel contre de l’argent », rappelle Claire Quidet, présidente du Mouvement du Nid. « Comme l’affirmait Françoise Héritier dire que les femmes ont le droit de se vendre, c’est masquer que les hommes ont le droit de les acheter ».
Françoise Ritter, présidente de l’Amicale du Nid complète : « L’approche sexwork rend invisible la violence propre à la prostitution. Elle réduit au silence les victimes, dans la grande tradition du patriarcat vis-à-vis des violences sexistes et sexuelles. L’inversion de la charge pénale amenée par la loi du 13 avril 2016 permet de reconnaître les personnes prostituées non pas comme des délinquantes, mais comme les victimes d’un système de violences sexistes et sexuelles. »
Yves Scelles, président de la Fondation Scelles, ajoute : « Ce n’est pas la loi française qui insécurise ou tue les personnes prostituées : c’est la prostitution. Dans les pays européens ayant dépénalisé le proxénétisme et réglementé la prostitution, des voix s’élèvent contre l’esclavage des temps modernes que représente l’exploitation des femmes dans les bordels allemands. Le magazine allemand Der Spiegel titrait en juin dernier : “Un jour nous aurons honte”. »
Considérer la prostitution comme un “travail du sexe” ne réduit les risques que pour les prostitueurs (les proxénètes et les « clients »)
Après sept ans de mise en oeuvre, la loi du 13 avril 2016 fonctionne là où elle est appliquée. Elle pose les bases d’une politique publique humaniste, féministe, résolument engagée pour que les victimes d’exploitation sexuelle sortent de l’isolement, de l’emprise, et de la violence.
Le dispositif des Parcours de sortie de la prostitution est un outil formidable dont les victimes peuvent se saisir pour être soutenues dans leur démarche par des associations et protégées par l’Etat, et pour leur permettre de s’insérer en fonction des projets qui sont les leurs. Cette politique publique est cohérente et doit être renforcée et appliquée sur tout le territoire français. Elle implique un portage politique fort.
Cela passe notamment par une politique pénale volontariste en matière de responsabilisation des acheteurs d’actes sexuels. Face à ce constat, nous saluons la mise en place d’une concertation pour l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre la prostitution par le gouvernement, en juin dernier. Nous appelons à la poursuite des discussions engagées, pour que la protection des personnes prostituées soit effective, pour construire ensemble une société libérée de l’exploitation sexuelle.