Au Mouvement du Nid, l’accompagnement des personnes prostituées, se fait dans nos délégations départementales, qui tiennent des permanences, en général hebdomadaires. L’accompagnement est fait par les bénévoles, ou par les salarié.e.s quand il y en a (sur 15 qui sont agréées pour les parcours de sortie,
8 n’ont pas de salarié.e.s ). Nous avons choisi de raconter le quotidien d’une délégation qui compte deux salariés, une volontaire en service civique et plusieurs bénévoles.
Lundi matin, 9h.
Julie devait accompagner une femme nigériane, Esther, à la Préfecture. Esther a obtenu le statut de réfugiée au terme de sa demande d’asile en juillet. Elle s’est immédiatement rendue à la préfecture pour faire faire son permis de séjour de 10 ans. On lui a dit qu’il fallait attendre 6 mois. Alors Julie a décidé de l’accompagner pour débloquer la situation. Esther ne parle pas encore français, même si depuis qu’elle a obtenu son statut, elle prend des cours 3 fois par semaine. Déjà auparavant, elle venait chaque semaine à la permanence, pour le cours d’initiation donné par deux bénévoles.
Problème, Esther vient d’appeler : elle ne peut pas venir, car elle devait aussi se rendre à un rendez-vous Pôle Emploi, qu’elle n’a pas réussi à annuler. Voila 2 heures qui se libèrent dans l’agenda de Julie. Elle peut finir de caler tous ses rendez-vous de la semaine.
11h.
Aujourd’hui, ni la stagiaire ni la service civique ne sont présentes sur les lieux. L’agenda de Julie déborde. Elle est en train d’essayer de caler, avec le coordinateur, une réunion d’équipe dans la semaine. Mission impossible. Ou presque. Ils finissent par trouver un créneau.
Le téléphone sonne sans arrêt
Une femme suivie par la délégation appelle. Elle voudrait venir, dès que possible. Mais cette semaine, il n’y a plus de place. Il faut la faire patienter, lui proposer de trouver une bénévole qui pourrait s’en charger. Le téléphone sonne sans arrêt.
Et depuis la loi, depuis qu’on parle des parcours de sortie, depuis que les personnes prostituées sont reconnues comme non pas les coupables de prostitution mais des victimes du système, elles sont de plus en plus nombreuses à venir.
11h15, Blessing est déjà là .
Elle a rendez-vous à midi avec 2 bénévoles pour poursuivre son récit de vie, dans le cadre de la procédure de demande d’asile qu’elle a entamée. Julie doit laisser son bureau pendant 1h pour que l’entretien puisse se dérouler dans la confidentialité. Pendant ce temps, elle essaie d’appeler une association de lutte contre les violences faites aux femmes, pour demander des rendez-vous psy pour certaines des personnes suivies. Il y a une permanence en interne le mardi après-midi avec une psychologue spécialisée. Mais cela ne suffit pas pour tout le monde.
Répondre aux journalistes
14h.
Julie réintègre son bureau pendant que dans le salon d’accueil, les bénévoles reçoivent des femmes pour le cours d’initiation au français, et effectuent une permanence pour les démarches. Pendant ce temps, elle reçoit d’autres femmes, accompagnées par la délégation. Elles sont 80 en tout. Il y a 3 à 4 nouvelles personnes chaque semaine Elles viennent pour demander des tickets pour avoir à manger, parler de leurs problèmes, faire avancer leurs démarches. Elles attendent, chacune son tour, que le bureau de Julie se libère. Entre les rendez-vous, elle passe des coups de fil. En ce moment, une des femmes suivies est particulièrement précaire, sans domicile fixe. Julie appelle le 115, lui même débordé.. « Les listes d’attente sont très longues, et il faut beaucoup de persévérance », explique-t-elle.
Pendant ce temps, le téléphone sonne. C’est une journaliste de la presse écrite, qui voudrait rencontrer une personne en parcours de sortie. Il faut lui expliquer, qu’on ne peut pas faire témoigner des personnes qui sont dans un processus de sortie long, et difficile. Que celles qui le peuvent, comme Magali, dont la journaliste a lu l’histoire dans les journaux, sont peu nombreuses. Et qu’on en peut pas les solliciter tous les jours, ni même toutes les semaines.
Des parcours de sortie, au plan national, 9 ont pour l’instant été accordés à nos délégations. Ici, les parcours de sortie, c’est bien sùr Julie qui les suit et les a présentés à la Commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains. Les 2 dossiers présentés par le Mouvement du Nid ont été validés.
Un accompagnement complexe
Julie n’a présenté que 2 parcours à la première commission, alors qu’elle suit 80 personnes. Pourquoi ?
« nous voulons que ces parcours soient un succès. Pour cela, nous voulons pouvoir mener l’accompagnement le plus efficacement possible . Et ce n’est pas parce que nous avons 2 parcours de sortie, que les 78 autres ne sont plus accompagnées. 6 mois, c’est court*. Aujourd’hui, nous pourrons encore en présenter quelques autres, mais pas des dizaines. Il nous faut plus de moyens »
Les moyens
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Alors que le gouvernement a calculé le budget de l’AFIS pour 600 personnes– il faudrait que les moyens soient mis pour que toutes les personnes suivies puissent être accompagnées vers la sortie de prostitution si elles le souhaitent.
Selon l’étude Prostcost du Mouvement du Nid (2015) ce sont un quart des 37000 personnes en situation de prostitution qui sont en contact avec des associations.
Accompagner 9000 personnes, devrait donc être l’objectif minimum du gouvernement. Peut-être pas 9000 allocations spécifiques (AFIS), certaines ayant droit au RSA ou autre, mais les moyens pour que les associations puissent accompagner les 9000.
Besoin d’une volonté politique forte
17h
. Julie ne perd pas courage pour autant. Car l’accompagnement a aussi ses beaux moments, comme lorsque Joy lui a raconté ce qu’avait représenté pour elle le Mouvement du Nid. Joy ne savait pas comment rédiger sa lettre d’engagement pour le parcours, alors elle a eu un entretien avec Julie. Et son témoignage lui a fait chaud au cœur.
« Avant, dit-elle, j’étais sur le trottoir, je ne réfléchissais plus. Je n’avais aucun rêve, aucun espoir. Et puis, à force de voir ces gens qui venaient me voir, toutes les semaines, les gens du Mouvement du nid, je me suis dit : pourquoi ils s’intéressent à moi, sans rien me demander ? Je suis allée les voir, ils et elles m’ont aidée. Et petit à petit, j’ai recommencé à me considérer comme une personne. Et à imaginer que je pouvais être autre chose que prostituée sur le trottoir ».
Aujourd’hui, Joy a un vrai travail. Et le parcours vers la sortie lui est désormais accessible.
A la fin de la journée, ce que Julie a obtenu pour elle, elle le voudrait pour toutes. Pour cela, il faut une volonté politique forte.
*les parcours de sortie sont renouvelables tous les 6 mois pendant deux ans.