L’Apollonide – souvenirs de la maison close

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Si L’Apollonide – souvenirs de la maison close est assurément un bon film au sens artistique du terme, se pose évidemment la question de la vision et de l’esthétique des maisons de passes du début du XXème siècle qui y est développée par Bertrand Bonello. Fantasmes et réalités….

C’est certain, L’Apollonide – souvenirs de la maison close est un grand film, comme le cinéma français en produit peu par an, à voir absolument. Des costumes magnifiques, une image soignée, des actrices remarquables, et une mise en scène on ne peut plus élégante. Voilà pour la forme.

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Quant au fond, Bertrand Bonello a son point de vue, à la fois sincère et ambigu. Comme le titre de son premier film[[Le Pornographe, 2001.]] , il est clairement un «pornographe ». Mais pas un de ces réalisateurs de l’écurie Dorcel[[Producteur de films pornographiques.]] ! Bonello, lui, appartiendrait plutôt à la tendance “porno chic“ mettant en scène des jeunes mannequins au maquillage humide dont les poses languides ont pour objectif de nous faire acheter des chaussures ou des sacs à main de grande marque.

Bonello aime filmer les corps de femmes nues et il ne s’en cache pas. Se mettant en scène, dans son propre film, comme participant d’une partouze (encore faut-il le reconnaître), on pense entendre ses confidences lorsque l’un des personnages masculins déclare être ému par les « filles de joie ».

Dans ses interviews, il se décrit comme un défenseur des femmes. Et c’est vrai qu’il magnifie ses actrices avec des rôles qui les mettent en état de grâce (Jasmine Trinca, Céline Sallette…). Des personnages tout en nuance, un dégradé de personnalités qui, on peut le penser, rendent compte avec une certaine justesse de l’ambiance générale de ces maisons de passes (l’entraide entre les prostituées, les jalousies qui s’y développent…).

Mais, sa volonté « naturaliste » s’arrête là. Comme Bunuel dans Belle de jour, Bertrand Bonello profite de son sujet pour mettre en scène ses fantasmes. Faire l’amour dans un bain de champagne, les mains attachées sous la menace d’une arme blanche, avec des miroirs sans tain permettant la surveillance de la mère maquerelle et le voyeurisme des spectateurs…

Ce pourrait être de la pure licence poétique, le produit d’une créativité débridée, si l’on ne retrouvait des liens avec ses travaux précédents. L’obsession pour la femme/poupée était déjà présente dans son court métrage, Cindy the doll is mine, avec Asia Argento. Dans L’Apollonide, il va plus loin transformant Adèle Haenel en pantin sexuel. La femme comme objet aux mains de l’homme : on est loin du féminisme.

On peine donc à comprendre le propos de Bertrand Bonello… Qu’a-t-il voulu nous raconter des maisons closes ? D’un côté, il en montre toute l’horreur, la violence larvée, l’esclavage qui y règne, l’hygiène hypocrite avec la syphilis comme épée de Damoclès, l’impossibilité d’en sortir avec des dettes qui ne font que se creuser, le contrôle sanitaire terrible d’inhumanité, et les anthropologues de l’époque qui voient dans les prostituées des femmes retardées mentalement…

De l’autre, tout le film baigne dans une atmosphère nostalgique qui semble vouloir nous faire écouter l’air mille fois joué du « Bon vieux temps des bordels »… Du titre (souvenirs souvenirs) aux chansons des bien nommés Moody Blues, le regret est palpable. Si L’Apollonide ferme, nous dit-on, la plupart des filles devront aller en maison d’abattage. Devons nous entendre là, le refrain éculé du « moins pire » qui veut que puisque prostitution il y a, mieux vaut pour celles qui la pratiquent que cela soit dans une « jolie » maison de passes ?

À ce titre, le dernier plan du film pose encore question. D’un coup, nous basculons dans le temps présent. Aux abords des maréchaux de Paris, des prostituées… Une des actrices, Céline Sallette, est parmi elles. Que devons-nous voir dans cette transposition temporelle? L’amer constat de la poursuite de l’exploitation sexuelle des femmes ? Ou l’idée que, finalement, l’Apollonide était un moindre mal?