Soutenons la parole des femmes, de toutes les femmes

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Point sur les i

Occultées, ignorées, rayées de la carte. Pendant des siècles, les femmes ont été privées de parole. Ce n’est qu’au 20e siècle que cette parole a pu commencer à trouver une légitimité grâce au travail acharné des féministes.

Travail acharné, et c’est peu dire, pour que cette parole soit considérée, respectée, diffusée, reconnue. Si metoo peut aujourd’hui exister, si est enfin brisé le monopole de la parole masculine, et soulevé le couvercle du silence, pour dénoncer harcèlement, viols, agressions, incestes, c’est bien le produit de ce long travail de l’ombre. Il faut s’en réjouir.

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Mais voilà que la libération, et l’écoute de cette parole, qui fait aujourd’hui trembler un ordre séculaire, peut aussi comporter ses pièges. Car une parole, si on sait la rendre séduisante, peut en cacher une autre. Aujourd’hui, des « travailleuses du sexe » revendiquent la liberté d’exercer leur « métier ». Elles demandent à être entendues, au même titre que toute autre. Car c’est précisément en prenant la parole qu’elles peuvent affirmer leur légitime besoin d’être respectées, d’exister en tant que sujets autonomes et de reprendre le contrôle sur leur propre vie ; des exigences que la société a toujours refusées aux personnes prostituées.
La difficulté est ailleurs ; dans l’adhésion sans recul d’une partie de la société. Le monde intellectuel et médiatique, notamment, s’empresse de relayer, comme un seul homme, cette bruyante affirmation de liberté. Persuadé de défendre une minorité opprimée, rendue photogénique grâce à un affichage subversif, il s’assure au passage une tranquille déculpabilisation. Sans voir qu’une autre « minorité », celle des « survivantes », est ainsi occultée : une minorité qui représente en réalité la majorité des personnes concernées, mais dont la parole est encore verrouillée sous l’effet de la honte ou des menaces.
Sans puissant lobby international pour les appuyer, celui du « travail du sexe », les « survivantes », qui n’ont aucun intérêt financier à défendre, ont une peine infinie à faire entendre une parole autrement plus dérangeante ; une parole qui dynamite le « droit sexuel masculin », donc le socle même de nos sociétés.
Il est tellement plus confortable d’offrir l’espace médiatique à celles qui chantent les louanges d’un système d’exploitation sexuelle qui reste l’un des grands privilèges masculins. En un mot, toutes les Emma Becker
[1] qui viennent revendiquer, pour le plus grand plaisir de ces derniers, les mérites du bordel ou le fameux
« droit d’importuner
[2] ». Insensiblement, dans une société libérale fondée sur la seule loi du profit, rien d’étonnant à ce que cette parole soit parvenue à s’imposer. Les cadres eux-mêmes étaient structurés pour la recevoir. Ainsi, les défenseurs·ses du « travail du sexe » sont-ils parvenus à légitimer et protéger, sous le discours de la « liberté » si cher à l’époque, le pire des archaïsmes, la mise à disposition sexuelle des femmes pour de prétendus « besoins masculins » ; pour défendre, au final, les intérêts des proxénètes et des « clients », donc de ce qu’il faut bien appeler le système patriarcal.
La parole des femmes, donc. Mais quelle parole ? Si nous la défendons ardemment, c’est parce qu’elle est une parole de dénonciation, une parole rebelle. Parce qu’elle soulève des montagnes. Elle est explosive, elle renverse le statu quo et les rapports de domination, brise les inégalités, démasque les violences. Son objectif est de changer la vie, de changer la société. De faire la révolution.
La parole des survivantes, encore trop ignorée, finira par s’imposer car c’est le sens de l’histoire. Elle achèvera, avec sa réelle force subversive, de liquider l’universelle réduction des femmes à l’état d’objets du désir et du bon vouloir de l’autre.  

[1] Invitée sur tous les plateaux télé, toutes les radios, et distinguée par le Prix Télérama France Culture pour « La maison » (2019). [2] Le Monde, « Nous défendons la liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », 9/01/2018.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.